Les lois régissant les associations
Quelques textes sur le droit d’association puisque les dispositifs de la loi de 1834 vont le restreindre.
Historique
1789 - Dès le début de la Révolution, de nombreuses associations politiques et ouvrières se forment sans aucune autorisation des pouvoirs publics. La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen omet le droit d'association.
1790 - L’Assemblée constituante, par la loi du 21 août 1790, reconnaît aux citoyens « le droit de s'assembler paisiblement et de former entre eux des sociétés libres, à la charge d'observer les lois qui régissent tous les citoyens. » Ce droit est intégré à la Constitution du 3 septembre 1791.
1791 - Suite à des séditions ouvrières et à la montée de leurs revendications salariales, la loi Le Chapelier (14-17 juin 1791) interdit tout rassemblement, corporation ou association d’ouvriers ou artisans :
« Les citoyens d'un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers d'un art quelconque, ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs » (art. 2).
« Nous avons les plus fortes raisons de croire que l'institution de ces assemblées a été stimulée dans l'esprit des ouvriers, moins dans le but de faire augmenter, par leur coalition, le salaire de la journée de travail, que dans l'intention secrète de fomenter des troubles. »
Le Chapelier, présentation du rapport du comité de Constitution sur les assemblées de citoyens de même état ou profession.Archives parlementaires, 14 juin 1791, p. 210.
Marat, dans « l'Ami du peuple », vilipende l'action des représentants du peuple et voit dans la loi du 17 juin un attentat au droit d’association.
« Un attentat aussi odieux ne suffisait pas aux pères conscrits : ils voyaient avec effroi la partie la plus saine de la nation réunie en sociétés fraternelles, suivre d'un œil inquiet leurs opérations, réclamer contre les malversations et toujours prêtes à éclairer la nation et à la soulever contre ses infidèles mandataires. Que n'ont-ils pas fait pour anéantir ces sociétés tutélaires, sous prétexte qu'elles usurpaient tous les pouvoirs en prenant des délibérations, tandis qu'elles ne délibéraient que pour s'opposer à l'oppression, que pour résister à la tyrannie. N'osant les dissoudre, ils ont pris le parti de les rendre nulles, en interdisant toute délibération ou plutôt toute pétition faite par une association quelconque, sous prétexte que le droit de se plaindre est un droit individuel : ce qui suppose qu'aucune association ne peut être ni lésée ni opprimée, ou bien que toute association est obligée de se soumettre en silence aux derniers outrages. Enfin, pour prévenir les rassemblements nombreux du peuple qu'ils redoutent si fort, ils ont enlevé à la classe innombrable des manœuvres et des ouvriers le droit de s'assembler, pour délibérer en règle sur leurs intérêts, sous prétexte que ces assemblées pourraient ressusciter les corporations qui ont été abolies. Ils ne voulaient qu'isoler les citoyens et les empêcher ainsi de s'occuper en commun de la chose publique. Ainsi c'est au moyen de quelques grossiers sophismes et de l'abus de quelques mots que les infâmes représentants de la nation l'ont dépouillée de ses droits. » L'Ami du peuple, 18 juin 1791.
Article 14 du décret du 19-22 juillet 1791 relatif à l'organisation d'une police municipale et correctionnelle : Ceux qui veulent former des sociétés ou clubs politiques doivent faire une déclaration des jours et lieux de réunion auprès de la municipalité sous peine de 200 livres d'amende, 500 en cas de récidive.
Le décret du 18 août 1792 abolit les congrégations religieuses et les confréries.
1793 - Sous la Convention tombent les fragiles barrières dressées contre les excès des sociétés politiques : la Déclaration des droits de l'Homme placée en tête de la Constitution du 24 juin 1793 donne dans son article 7 le droit aux citoyens de « s'assembler paisiblement » et le droit « de se réunir en sociétés populaires » (article 122).
Le décret du 25 juillet 1793 interdit à toute autorité et tout individu d'empêcher les sociétés populaires de se réunir ou de tenter de les dissoudre sous peine de cinq à dix années de fers.
1795 - La Constitution du 5 fructidor an III subordonne l'existence des associations politiques et professionnelles au maintien de l'ordre social :
« Aucune société particulière, s'occupant de questions politiques, ne peut correspondre avec aucune autre, ni s'affilier à elle, ni tenir des séances publiques, composées de sociétaires et d'assistants distingués les uns des autres, ni imposer des conditions d'admission et d'éligibilité, ni s'arroger des droits d'exclusion, ni faire porter à ses membres aucun signe extérieur de leur association » (art. 362)
1810 - L’article 291 du code pénal napoléonien impose la dissolution de toute association de plus de vingt personnes non autorisée préalablement par les pouvoirs publics. Il punit de 3 mois à deux ans de prison les dirigeants de ces associations et de 16 à 200 francs les personnes chez lesquelles ont eu lieu ces réunions illicites.
Malgré les nombreuses demandes d'abrogation, il perdurera jusqu'en 1901.
1830 - Devant le regain des clubs, associations politiques et sociétés secrètes pendant la Restauration puis la Monarchie de Juillet, la répression s'accentue. Beaucoup de voix s'élèvent pour réclamer le droit d'association.
L'ultramontain Félicité de Lamennais s'indigne contre le régime de la Monarchie de Juillet :
Le pouvoir royal souhaite réprimer la ferveur des journées révolutionnaires de 1830 et mettre fin à l'existence des clubs.
« Nous demandons, en quatrième lieu, la liberté d'association, parce que partout où il existe soit des intérêts, soit des opinions, soit des croyances communes, il est dans la nature humaine de se rapprocher et de s'associer ; parce que c'est là encore un droit naturel ; parce qu'on ne fait rien que par l'association, tant l'homme est faible, pauvre et misérable tandis qu'il est seul : voe soli ! Parce que là où toutes classes, toutes corporations ont été dissoutes, de sorte qu'il ne reste que des individus, nulle défense n'est possible à aucun d'eux, si la loi les isole l'un de l'autre et ne leur permet pas de s'unir pour une action commune. L'arbitraire pourra les atteindre tour à tour ou tous à la fois, avec une facilité qui amènera bientôt la destruction complète des droits ; car il y a toujours dans le pouvoir, même le plus juste et le plus modéré, une tendance à l'envahissement, et la liberté ne se conserve que par un perpétuel combat. Aujourd'hui d'ailleurs les gouvernements devant suivre l'opinion publique, il faut que l'opinion publique ait en dehors d'eux un moyen de se former et de se manifester avec un caractère de puissance qui ne permette en aucun cas de la mépriser ou de la méconnaître ; et cela même est une garantie, et la plus forte garantie, dans l'état présent de l'Europe, de la stabilité des gouvernements. » Lamennais : journal L'Avenir, 16 octobre 1830.
Tocqueville souligne à la même époque la liberté d'association qui règne de l'autre côté de l'Atlantique :
« Les Américains de tous âges, de toutes les conditions, de tous les esprits, s'unissent sans cesse. Non seulement ils ont des associations commerciales et industrielles auxquelles tous prennent part ; mais ils en ont encore de mille autres espèces : de religieuses, de morales, de graves, de futiles, de fort générales et de très particulières, d'immenses et de fort petites ; les Américains s'associent pour donner des fêtes, fonder des séminaires, bâtir des auberges, élever des églises, répandre des livres, envoyer des missionnaires aux antipodes ; ils créent de cette manière des hôpitaux, des prisons, des écoles. S'agit-il enfin de mettre en lumière une vérité ou de développer un sentiment par l'appui d'un grand exemple : ils s'associent. (...) J'ai rencontré en Amérique des sortes d'associations dont je confesse que je n'avais pas même l'idée. (…) Dans les pays démocratiques, la science de l'association est la Science ; le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là. » De l'usage que les Américains font de l’association dans la vie civile (1835).De la démocratie en Amérique / Alexis de Tocqueville. - Paris : M. Lévy, 1864.
1834 - Un débat sur le droit d'association s'engage au Parlement.
« J'ai dit que l'article 291 ne figurerait pas éternellement dans les lois d'un peuple libre. Pourquoi ne le dirais-je pas aujourd'hui ? (…) Il viendra, je l'espère, un jour où la France pourra voir l'abolition, la suppression de cet article, comme un nouveau développement de la liberté. Mais jusque-là, il est de la prudence de la Chambre et de tous les grands pouvoirs publics, de maintenir cet article qui a été maintenu en 1830 ; il faut même le modifier, selon le besoin du temps, pour qu'il soit efficace contre les associations dangereuses d'aujourd'hui, comme il l'a été en 1830 contre les clubs.» Guizot, discussion de la loi du 10 avril 1834. Archives parlementaires, 12 mars 1834.
Pour le député Berryer :
« Le droit d’association est un droit sacré, c'est le droit primitif, c'est le droit générateur dans l'ordre social » (Archives parlementaires, 12 mars 1834.)
Pour Lamartine :
« L'association est dans le principe même de liberté qui constitue ce gouvernement. Il ne faut point la nier, il faut la régler (…). Sans doute cette législation sera difficile ; c'est une force sociale toute neuve à constituer (…). Mais ce qui est nécessaire n'est jamais impossible, et d'ailleurs vous n'avez qu'une alternative : ou des droits reconnus, ou des droits envahis ; ou des associations légales, ou des sociétés secrètes et illicites » (Archives parlementaires, 13 mars 1834).
Cependant, la loi du 10 avril 1834 aggrave les dispositions du code pénal. Désormais, même les membres d'associations divisées en sections de moins de 20 personnes encourent de lourdes amendes et des peines de prison. Une vague de répression politique déferle sur les associations de toute nature*.
Position de J-B Monfalcon à propos de l’association des Mutuellistes :
« Des ouvriers qui n’avaient fait usage de leurs facultés intellectuelles que pour pousser avec égalité leur navette de gauche à droite et de droite à gauche, discutaient, calomniaient l’œuvre des trois pouvoir et décrétaient la révoltes ! (…) Les conséquences terribles de l’aberration mentale des travailleurs ne sauraient faire méconnaître le ridicule des considérants de leur protestation ».
Monfalcon fait allusion à la protestation des Mutuellistes, signée par 2 544 sociétaires, ci-jointe :
« La société des Mutuellistes de Lyon, placée par le seul fait de sa volonté en dehors du cercle politique, croyait n’avoir à redouter aucune agression de la part des hommes du pouvoir, lorsque la loi contre les associations est venue lui révéler son erreur ; cette loi monstrueuse, œuvre du vandalisme le plus sauvage, violant les droits les plus sacrés, ordonne aux membres de cette société de briser les liens qui les unissent et de se séparer ! Les mutuellistes ont dû examiner et délibérer.
Considérant en thèse générale que l’association est le droit naturel de tous les hommes, qu’il est la source de tout progrès, de toute civilisation ; que ce droit n’est point une concession des lois humaines, mais le résultat des vœux et des besoins de l’humanité écrits dans le code providentiel ;
Considérant en particulier que l’association des travailleurs est une nécessité de notre époque, qu’il est pour eux une condition d’existence, que toutes les lois qui y porteraient atteinte auraient pour effet immédiat de les livrer sans défense à l’égoïsme et à la rapacité de ceux qui les exploitent ;
En conséquence, les mutuellistes protestent contre la loi liberticide des associations et déclarent qu’ils ne courberont jamais la tête sous le joug aussi abrutissant, que leurs réunions ne seront point suspendues et, s’appuyant sur le droit le plus inviolable, celui de vivre en travaillant, ils sauront résister, avec toute l’énergie qui caractérise des hommes libres, à toute tentative brutale et ne reculeront devant aucun sacrifice pour la défense d’un droit qu’aucune puissance humaine ne saurait leur ravir. »
Dumont, président de section, Guétard, chef de loge centrale…etc…etc…
*DE LA LOI SUR LES ASSOCIATIONS,
Art. 1er. « Les dispositions de l’art. 29l du code pénal sont applicables aux associations de plus de 20 personnes, alors même que ces associations seraient partagées en sections d’un nombre moindre, et qu’elles ne se réuniraient pas tous les jours ou à des jours marqués. L’autorisation donnée par le gouvernement est toujours révocable. »
« Art. 2. Quiconque fait partie d’une association non autorisée, sera puni de deux mois à un an d’emprisonnement, et de 50 fr. à 1,000 fr. d’amende.« L’article 463 du code pénal pourra être appliqué dans tous les cas.« En cas de récidive, les peines pourront être portées au double.« Les condamnés, dans ce dernier cas, pourront être soumis à la surveillance de la haute police pendant un temps qui pourra être élevé jusqu’au double de la peine. »
Art. 3. « Seront considérés comme complices et punis comme tels, ceux qui auront prêté ou loué sciemment leur maison ou appartement pour une ou plusieurs réunions d’une association non autorisée. »
Art. 4. « Les attentats contre la sûreté de l’état, commis par les associations ci-dessus mentionnées, pourront être déférés à la juridiction de la chambre des pairs, conformément à l’art. 23 de la charte constitutionnelle.« Les délits politiques commis par lesdites associations, seront déférés au jury, conformément à l’article 69 de la charte constitutionnelle.« Les infractions à la présente loi et à l’art. 291 du code pénal seront déférées aux tribunaux correctionnels. »« Les dispositions du code pénal auxquelles il n’est pas dérogé par la présente loi, continueront de recevoir leur exécution. »
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