Le 22 et 23 novembre 2008 a eu lieu une manifestation commémorant la révolte des Canuts de 1831. Un numéro 0 qui a confirmé ce que nous ressentions au moment de la mise en route de ce projet. Cette période de l’histoire des tisseurs de soie passionne. La conférence de Ludovic Frobert, les extraits de la pièce de théâtre Eloge des Canuts ont été suivis par une centaine de personnes. Dimanche matin plus de 80 personnes ont effectué le trajet sur les pas des Canuts ponctué d’interventions de la compagnie du Chien Jaune. L’après-midi un public nombreux, entre 80 et 100 participants, a pris part au débat de haute tenue sur les publications syndicales et écouté l’association Musicale Populaire de Lyon. Ajoutons les visiteurs de l’exposition que nous n’avons pas comptabilisés.
Un succès et un encouragement qui nous obligent à préparer dès maintenant l’édition 2009 du Novembre des Canuts. Les bases de cette manifestation ont été affirmées les 22 et 23 novembre. Nous les rappelons : L’épine dorsale est l’Echo de la Fabrique, le programme doit être à la fois culturel, ludique, informatif, historique et montrer le lien qui existe entre les combats, réflexions, suggestions et analyses des Canuts des années 1830 et ceux d’aujourd’hui. Ce projet porté conjointement par la Compagnie du Chien Jaune et Robert Luc, ne saurait déroger à ces fondements. Par contre, dans ce cadre, toutes les idées, toutes les compétences, les disponibilités sont les bienvenues. C’est pourquoi nous lançons la première réunion de ce collectif dès ce mois de décembre.
Toutes les personnes intéressées par cette manifestation et voulant être tenues au courant de sa préparation peuvent prendre contact avec :
Compagnie du Chien Jaune
7 rue Justin Godart 69004 Lyon
Tél : 04 72 00 84 63
Cie.chienjaune@free.fr
Robert Luc
34 rue Henry Gorjus 69004 Lyon
Tél : 04 78 27 11 51
anne.weyer@neuf.fr
samedi 27 décembre 2008
Le Tarif et les canuts
On sait que la revendication, l’établissement d’un tarif écrit et augmenté, a été à l’origine de la révolte de novembre 1831. On sait également qu’elle n’a pas été satisfaite. Cette revendication a-elle complètement disparu ? Non si l’on s’en réfère à ce texte :
Extrait du livre de J-S Lapierre et Emile Leroudier « Historique de la Fabrique Lyonnaise de Soieries » édité par « La Soierie de Lyon » publications Pierre Argence, 285 avenue Jean-Jaurès Lyon (pas de date d’imprimerie mais l’on peut considérer que cet ouvrage paru autour de 1924, dernière date citée dans l’ouvrage.) Emile Leroudier, adjoint au maire, véritable auteur de la Plaisante sagesse lyonnaise et vice président des Amis de Guignol, est mort en 1937.
« En 1864 le gouvernement impérial annule les lois du 16 février 1791 supprimant les jurandes et corporations, et celle du 14 juin de la même année interdisant les coalitions professionnelles. Ils autorisent les chefs d’ateliers et les ouvriers à se concerter pour discuter de leurs intérêts sous la condition qu’ils n’exerceront ni violences ni menaces portant atteinte au libre exercice de l’industrie et du travail. Ceux-ci en profitent immédiatement pour établir eux-mêmes un nouveau tarif car depuis 1831 ils sont retombés presque entièrement sous le pitoyable régime du marchandage. »
Extrait du livre de J-S Lapierre et Emile Leroudier « Historique de la Fabrique Lyonnaise de Soieries » édité par « La Soierie de Lyon » publications Pierre Argence, 285 avenue Jean-Jaurès Lyon (pas de date d’imprimerie mais l’on peut considérer que cet ouvrage paru autour de 1924, dernière date citée dans l’ouvrage.) Emile Leroudier, adjoint au maire, véritable auteur de la Plaisante sagesse lyonnaise et vice président des Amis de Guignol, est mort en 1937.
« En 1864 le gouvernement impérial annule les lois du 16 février 1791 supprimant les jurandes et corporations, et celle du 14 juin de la même année interdisant les coalitions professionnelles. Ils autorisent les chefs d’ateliers et les ouvriers à se concerter pour discuter de leurs intérêts sous la condition qu’ils n’exerceront ni violences ni menaces portant atteinte au libre exercice de l’industrie et du travail. Ceux-ci en profitent immédiatement pour établir eux-mêmes un nouveau tarif car depuis 1831 ils sont retombés presque entièrement sous le pitoyable régime du marchandage. »
Les Canuts et Jacquard
Le 28 septembre 1834, Marius Chastaing, dans le numéro 2 de la Tribune Prolétaire, écrit :
"JACQUARD.
Il ne fut pas savant, mais il eut du Génie. Le propre du Génie est de planer au-dessus des Sciences ; car il est une inspiration providentielle, une mission d’en haut.
M. GROGNIER, Disc. Funéraire.
Joseph-Marie JACQUARD est mort à Oullins le 7 août dernier à 1 heure du matin, il était né à Lyon le 7 juillet 1752. Son père Jean-Charles Jacquard était maître ouvrier en étoffes, d’or, d’argent et de soie ; sa mère Antoinette Rive Antoinette, liseuse de dessins ; son aïeul fut Isaac-Charles Jacquard, habitant et tailleur de pierre de Couzon. Jacquard fut d’abord apprenti relieur ; mais son goût l’entraîna bientôt vers la mécanique appliquée au tissage de la soie, il fut loin de retirer de ses premiers essais la gloire qui, plus tard, l’a récompensé de ses nobles travaux. Des tracasseries sans nombre furent son partage. Nous aurions voulu les taire pour l’honneur de l’humanité ; mais nous devons au contraire les rappeler pour soutenir le génie chancelant prêt à se rebuter et lui montrer que la consécration de ses efforts se trouve infailliblement dans la persévérance. La vie de Jacquard n’a rien de remarquable ; proscrit à la suite du siège de Lyon, en 1793, sa maison fut livrée aux flammes ; mais il échappa au danger par le dévouement de son fils qui l’appela auprès de lui et le plaça dans les rangs des défenseurs de la patrie. Peu de temps après, le fils de Jacquard expira entre les bras de son père, de la mort d’un soldat, sur le champ de bataille combattant l’ennemi. Jacquard revint à Lyon, lorsque la tourmente révolutionnaire fut apaisée, et se livra à ses occupations favorites. Sa vie fut simple, pénible et laborieuse, elle fut celle d’un citoyen vraiment patriote dans l’acception la plus étendue ; moins patriote, Jacquard eut écouté les offres séduisantes de 1’étranger ; elle fut celle d’un ouvrier, d’un prolétaire. Nous l’avons dit, Jacquard éprouve de nombreuses contrariétés avant de parvenir à faire adopter la machine ingénieuse qui porte son nom. Un homme moins profondément pénétré de son idée y aurait renoncé, il ne se rebuta pas et bientôt Napoléon devint son protecteur ; le grand homme savait porter un coup d’œil rémunérateur sur toutes les parties de son vaste empire. La machine Jacquard fut adoptée universellement ; de cette époque date une ère nouvelle pour l’industrie.
Aussi modeste et patriote dans la bonne fortune que dans la mauvaise, Jacquard ne crut pas que l’or devait seul payer les travaux du génie. La décoration de la Légion d’honneur qui alors méritait vraiment ce nom, une simple pension furent les seules récompenses matérielles qu’il obtint et il en fut satisfait ; sans doute il n’ignorait pas qu’une autre lui était acquise bien plus belle, car elle survit à l’homme. Cette récompense, c’est un nom immortel. Le nom de Jacquard ne périra pas.
Ce n’est pas seulement dans les fastes de l’industrie que le nom de Jacquard sera répété d’âge en âge, mais aussi dans ceux des bienfaiteurs de l’humanité. Si cette race d’hommes étiolée, souffrante et rachitique, ayant des mœurs, une physionomie, un langage à part, race destinée à la privation des jouissances de la vie, dévouée au supplice de la mort lente des hôpitaux, si cette race a disparu, c’est à Jacquard que nous le devons, hâtons-nous de le proclamer. C’est à la suppression des machines que la fabrique employait avant la découverte de Jacquard, qu’il faut attribuer, l’amélioration physique que les ennemis mêmes de la classe ouvrière reconnaissent avec un secret dépit ; car ils n’ignorent pas que de cette amélioration physique est née une amélioration morale, et que de l’une et de l’autre combinées surgira L’EMANCIPATION.
Notre récit a été simple comme la vie de Jacquard. Ici notre tâche devient pénible, il nous faut raconter ses derniers moments. Consolons-nous, Jacquard a dû payer le tribut que l’humanité doit à la nature. Il s’est éteint à 82 ans, sans avoir ressenti les infirmités compagnes trop ordinaires de la vieillesse. Un cortège nombreux qui l’aurait été bien davantage, si le temps eut permis d’avertir les Lyonnais, a suivi, à sa dernière demeure, l’homme du progrès, le citoyen utile. Des discours ont été prononcés sur sa tombe par M. BEZ, curé d’Oullins, M. PICHARD D. M. allié du défunt et M. GROGNIER, secrétaire de la société d’agriculture et arts utiles de Lyon, dont nous avons oublié de dire que Jacquard était membre. M. BONAND, négociant, a consenti, au nom de ses confrères, l’engagement de concourir à l’élévation d’un mausolée en l’honneur de cet industriel. Cette pensée est réalisée ; le conseil des prud’hommes a pris une initiative qui lui appartenait et a décidé, le 26 août, l’érection d’un monument funéraire. Espérons que les vœux des souscripteurs seront bientôt remplis.
Félicitons-nous des honneurs rendus à la mémoire de Jacquard, car ils rejaillissent sur la classe dont il faisait partie, nous y puisons d’ailleurs un haut enseignement moral. Jusqu’à ce jour la vanité bourgeoise, l’esprit de caste ou de coteries avaient fait le plus souvent les frais des apothéoses nécrologiques. Ici, c’est un homme du peuple auquel des hommes d’une classe réputée supérieure rendent dommage. Nous sommes heureux de voir accorder à ces hommes d’élite, en la personne de l’un d’eux, la distinction sociale, que l’envie, la morgue aristocratique, les passions haineuses et cupides leur disputent de leur vivant. Il est temps que l’artisan habile, l’ouvrier de mérite, dont les bras nerveux et les mains dures, soumis à l’action d’une intelligence supérieure, se sont épuisés à produire utilement et sans cesse, aient aussi, après leur mort, une voix qui redise leurs fatigues et leurs travaux. Cette tâche religieuse, c’est aux amis du peuple, aux prolétaires comme eux à s’efforcer de la remplir. Essuyons la noble sueur qui découle du front des travailleurs.
L’académie de Lyon vient de mettre au concours l’éloge de Jacquard. Nous l’espérons ce noble appel sera entendu et que notre estimable concitoyen trouvera un panégyriste digne de lui. L’histoire ingrate et peu conséquente a conservé la mémoire des dévastateurs du monde, des brigands célèbres ; elle a laissé dans un oubli coupable, irréligieux, la mémoire des citoyens utiles, des hommes de bien. Que cette abominable partialité cesse pour l’avenir. Il est plus glorieux de travailler dans sa sphère quelque obscure qu’elle soit au bien-être de ses frères, à l’avantage du genre humain, par le développement des sciences et arts, par les travaux du génie, par la pratique des vertus, que d’ensanglanter la terre, d’égorger les hommes et d’incendier les villes.
Jacquard doit être immortel !!!"
"JACQUARD.
Il ne fut pas savant, mais il eut du Génie. Le propre du Génie est de planer au-dessus des Sciences ; car il est une inspiration providentielle, une mission d’en haut.
M. GROGNIER, Disc. Funéraire.
Joseph-Marie JACQUARD est mort à Oullins le 7 août dernier à 1 heure du matin, il était né à Lyon le 7 juillet 1752. Son père Jean-Charles Jacquard était maître ouvrier en étoffes, d’or, d’argent et de soie ; sa mère Antoinette Rive Antoinette, liseuse de dessins ; son aïeul fut Isaac-Charles Jacquard, habitant et tailleur de pierre de Couzon. Jacquard fut d’abord apprenti relieur ; mais son goût l’entraîna bientôt vers la mécanique appliquée au tissage de la soie, il fut loin de retirer de ses premiers essais la gloire qui, plus tard, l’a récompensé de ses nobles travaux. Des tracasseries sans nombre furent son partage. Nous aurions voulu les taire pour l’honneur de l’humanité ; mais nous devons au contraire les rappeler pour soutenir le génie chancelant prêt à se rebuter et lui montrer que la consécration de ses efforts se trouve infailliblement dans la persévérance. La vie de Jacquard n’a rien de remarquable ; proscrit à la suite du siège de Lyon, en 1793, sa maison fut livrée aux flammes ; mais il échappa au danger par le dévouement de son fils qui l’appela auprès de lui et le plaça dans les rangs des défenseurs de la patrie. Peu de temps après, le fils de Jacquard expira entre les bras de son père, de la mort d’un soldat, sur le champ de bataille combattant l’ennemi. Jacquard revint à Lyon, lorsque la tourmente révolutionnaire fut apaisée, et se livra à ses occupations favorites. Sa vie fut simple, pénible et laborieuse, elle fut celle d’un citoyen vraiment patriote dans l’acception la plus étendue ; moins patriote, Jacquard eut écouté les offres séduisantes de 1’étranger ; elle fut celle d’un ouvrier, d’un prolétaire. Nous l’avons dit, Jacquard éprouve de nombreuses contrariétés avant de parvenir à faire adopter la machine ingénieuse qui porte son nom. Un homme moins profondément pénétré de son idée y aurait renoncé, il ne se rebuta pas et bientôt Napoléon devint son protecteur ; le grand homme savait porter un coup d’œil rémunérateur sur toutes les parties de son vaste empire. La machine Jacquard fut adoptée universellement ; de cette époque date une ère nouvelle pour l’industrie.
Aussi modeste et patriote dans la bonne fortune que dans la mauvaise, Jacquard ne crut pas que l’or devait seul payer les travaux du génie. La décoration de la Légion d’honneur qui alors méritait vraiment ce nom, une simple pension furent les seules récompenses matérielles qu’il obtint et il en fut satisfait ; sans doute il n’ignorait pas qu’une autre lui était acquise bien plus belle, car elle survit à l’homme. Cette récompense, c’est un nom immortel. Le nom de Jacquard ne périra pas.
Ce n’est pas seulement dans les fastes de l’industrie que le nom de Jacquard sera répété d’âge en âge, mais aussi dans ceux des bienfaiteurs de l’humanité. Si cette race d’hommes étiolée, souffrante et rachitique, ayant des mœurs, une physionomie, un langage à part, race destinée à la privation des jouissances de la vie, dévouée au supplice de la mort lente des hôpitaux, si cette race a disparu, c’est à Jacquard que nous le devons, hâtons-nous de le proclamer. C’est à la suppression des machines que la fabrique employait avant la découverte de Jacquard, qu’il faut attribuer, l’amélioration physique que les ennemis mêmes de la classe ouvrière reconnaissent avec un secret dépit ; car ils n’ignorent pas que de cette amélioration physique est née une amélioration morale, et que de l’une et de l’autre combinées surgira L’EMANCIPATION.
Notre récit a été simple comme la vie de Jacquard. Ici notre tâche devient pénible, il nous faut raconter ses derniers moments. Consolons-nous, Jacquard a dû payer le tribut que l’humanité doit à la nature. Il s’est éteint à 82 ans, sans avoir ressenti les infirmités compagnes trop ordinaires de la vieillesse. Un cortège nombreux qui l’aurait été bien davantage, si le temps eut permis d’avertir les Lyonnais, a suivi, à sa dernière demeure, l’homme du progrès, le citoyen utile. Des discours ont été prononcés sur sa tombe par M. BEZ, curé d’Oullins, M. PICHARD D. M. allié du défunt et M. GROGNIER, secrétaire de la société d’agriculture et arts utiles de Lyon, dont nous avons oublié de dire que Jacquard était membre. M. BONAND, négociant, a consenti, au nom de ses confrères, l’engagement de concourir à l’élévation d’un mausolée en l’honneur de cet industriel. Cette pensée est réalisée ; le conseil des prud’hommes a pris une initiative qui lui appartenait et a décidé, le 26 août, l’érection d’un monument funéraire. Espérons que les vœux des souscripteurs seront bientôt remplis.
Félicitons-nous des honneurs rendus à la mémoire de Jacquard, car ils rejaillissent sur la classe dont il faisait partie, nous y puisons d’ailleurs un haut enseignement moral. Jusqu’à ce jour la vanité bourgeoise, l’esprit de caste ou de coteries avaient fait le plus souvent les frais des apothéoses nécrologiques. Ici, c’est un homme du peuple auquel des hommes d’une classe réputée supérieure rendent dommage. Nous sommes heureux de voir accorder à ces hommes d’élite, en la personne de l’un d’eux, la distinction sociale, que l’envie, la morgue aristocratique, les passions haineuses et cupides leur disputent de leur vivant. Il est temps que l’artisan habile, l’ouvrier de mérite, dont les bras nerveux et les mains dures, soumis à l’action d’une intelligence supérieure, se sont épuisés à produire utilement et sans cesse, aient aussi, après leur mort, une voix qui redise leurs fatigues et leurs travaux. Cette tâche religieuse, c’est aux amis du peuple, aux prolétaires comme eux à s’efforcer de la remplir. Essuyons la noble sueur qui découle du front des travailleurs.
L’académie de Lyon vient de mettre au concours l’éloge de Jacquard. Nous l’espérons ce noble appel sera entendu et que notre estimable concitoyen trouvera un panégyriste digne de lui. L’histoire ingrate et peu conséquente a conservé la mémoire des dévastateurs du monde, des brigands célèbres ; elle a laissé dans un oubli coupable, irréligieux, la mémoire des citoyens utiles, des hommes de bien. Que cette abominable partialité cesse pour l’avenir. Il est plus glorieux de travailler dans sa sphère quelque obscure qu’elle soit au bien-être de ses frères, à l’avantage du genre humain, par le développement des sciences et arts, par les travaux du génie, par la pratique des vertus, que d’ensanglanter la terre, d’égorger les hommes et d’incendier les villes.
Jacquard doit être immortel !!!"
Inscription à :
Articles (Atom)