L’Echo de la Fabrique* et le terme de « Canut »
Le mot de « canut » reste aujourd’hui mystérieux, sujet à de nombreuses interprétations ou légendes et fait même encore l’objet de polémiques. Sans mettre un terme au débat qui a certainement de longues années devant lui avant d’être clos, il est particulièrement intéressant de rendre compte de l’avis des tisseurs sur soie des années 1830 à travers l’Echo de la Fabrique. En effet du 28 octobre 1832 au 7 avril 1833 le journal des Canuts va être le théâtre d’une recherche pour trouver un autre mot. Ce sera l’occasion pour les lecteurs d’exprimer leurs souhaits après des recherches sérieuses, d’énoncer parfois leur réserve quand à l’opportunité d’un tel concours et même de donner une explication scientifique sur l’origine du mot « canut ». C’est pour nous aujourd’hui la possibilité de découvrir une fois encore leur grande culture et de mieux comprendre la politique menée par les rédacteurs de l’Echo de la Fabrique. Toujours ce souci de mettre en perspective le sujet abordé. Chaque article s’inscrit d’une manière ou d’une autre dans les préoccupations du moment. Cet extraordinaire laboratoire d’idées qu’est ce journal où l’on voit numéro par numéro se construire les fondements du mouvement ouvrier et une véritable culture prolétarienne, ce lieu qui ne sera en fait disponible qu’une trentaine de mois sera excessivement fécond. Une raison supplémentaire pour examiner attentivement la période pendant laquelle il fut question de donner un « terme euphonique et simple, pour désigner la classe des ouvriers ou tisseurs sur soie. » Même si c’est douloureux pour certains, il faut se rendre à l’évidence. Le canut est un ouvrier capable de se passionner pour l’étymologie, de prendre sur son temps pour écrire de longue lettre à son journal. Nous sommes loin du canut tout nu, nous sommes loin du canut analphabète. Nous sommes loin de la légende des « cannes nues » et en parcourant ces quelques pages, on s’apercevra que le mot canut est revendiqué hautement par de nombreux tisseurs ce qui relativise les déclarations faites par ceux du XXème siècle.
Rien n’est anodin dans l’Echo de la Fabrique. Ce grand concours s’inscrit dans la démarche de l’Echo de la Fabrique qui a pour objectifs entre autres « l’amélioration morale de la classe prolétaire » pour reprendre les mots de Marius Chastaing, le rédacteur en chef.
C’est pendant l’été 1832, le 19 août qu’apparaît pour la première fois la possibilité de trouver un terme générique pour désigner la classe des tisseurs sur soie. Dans le numéro 43 une lettre de F. Méziat fait allusion à la décision des ouvriers de créer une association intitulée « les Férandiniers. » Il écrit : « Dans ce siècle de progrès où notre peuple héros s’est élevé au-dessus de toutes les nations, je pense que ce peuple ne doit pas plus dégénérer dans son langage qu’il n’a failli dans ses actions et je crois que le titre que vient d’adopter une estimable classe d’ouvriers de notre ville, ne répond pas à notre époque de régénération. » Cette lettre fait suite à la publication dans le numéro précédent de l’annonce d’un bal organisé par cette association créée en février. Il semble que les journalistes de l’Echo ne manifesteront pas un grand enthousiasme à son l’égard même si aucune opposition clairement exprimée ne se manifeste. Notons malgré tout le ton de l’article : « Les compagnons ouvriers en soie s’étant réunis et ayant cru devoir adopter le nom de « Ferrandiniers… » Nous ne sommes pas dans le domaine de termes élogieux employés dans d’autres circonstances. Le rédacteur va même de manière subtile et quelque peu ironique évoquer le deuil récent qu’a subi l’Echo de la Fabrique lors du décès du rédacteur en chef de l’Echo, Antoine Vidal, en leur soumettant cette proposition : « Nous n’avons pas besoin de leur rappeler la perte qu’ils viennent de faire dans la personne de M. Vidal, ils s’empresseront sans doute d’égayer leur bal par une bonne œuvre en portant leur offrande à la souscription que nous avons ouverte au profit de sa famille, et pour laquelle une quête sera faite parmi eux. » De fait les journalistes craignent que quelques mois après les journées de novembre, on assiste à dislocation de la solidarité entre tous les tisseurs, solidarité qui avait été un des enseignements de la révolte. Une inquiétude justifiée puisque le pouvoir, tout en faisant mine de céder à une revendication, va entreprendre la restructuration des Prud’hommes au début de l’année 1832, ce qui va amener une division de fait au sein même des chefs d’atelier. Seuls les propriétaires de 4 métiers et plus pourront se présenter et voter. Marius Chataing, rédacteur en chef, écrira d’ailleurs dans le numéro du 4 novembre 1832, pour justifier de l’importance et de l’urgence de trouver un nouveau nom à l’ensemble des ouvriers de la soie : « Nous n’aurions pas songé à ouvrir ce concours, si nous n’y avions pas été sollicité par plusieurs chefs d’atelier ; d’ailleurs, dès l’instant qu’un grand nombre d’ouvriers, en prenant le nom de ferrandiniers, annonçaient par là l’intention de changer celui sous lequel ils sont habituellement connus, il nous convenait de régulariser cette pensée. » Ainsi la lettre de F. Meziat arrive à point nommé d’autan qu’elle aborde le mot de « ferrandinier » d’un point de vue objectif. « … le nom de Ferrandiniers ne laisse dans l’esprit aucune trace qui puisse faire croire qu’il se rapporte au tissage de la soie. Dans le dictionnaire de l’académie, on trouve bien ce vieux mot dérivé de ferandine, étoffe qu’on fabriquait autrefois, mais dans un état où la diversité des tissus est si grande, où les articles ont des noms si bizarres, je trouve déplacé de donner le nom de ferrandinier à celui qui a fait de la ferrandine, que je trouverais ridicule d’appeler un menuisier, caissier, parce qu’il fait des caisse, etc… »
Dans un premier temps le rédacteur, certainement le gérant de l’Echo, Berger, va trouver séduisant le mot proposé par ce lecteur savant. « Nous sommes parfaitement de l’avis de notre correspondant et nous croyons qu’il serait convenable de chercher un terme générique pour désigner la classe des tisseurs sur étoffes de soie. Nous pensons que celui proposé par M. Meziat, séricariens, pourrait être adopté. » Ce mot de sericariens est proposé parce que le mot de « sericarius » se trouve dans tous les ouvrages des auteurs latins qui traitent de la soie. Le comité de rédaction ne partage pas l’enthousiasme de Berger et s’il est préférable à ferrandinier « une étoffe passée de mode », à satinier, à taffetasier, « il a soulevé des objection » écrit le 26 août Berger. De toute façon, le gérant se maintient sur la ligne de conduite de l’Echo et en annonçant un grand concours pour l’adoption d’un terme générique, il précise : « … nous ne devons pas oublier que c’est un sujet de goût et de convenance auquel le public doit donner son approbation. » Pour cela il existe une solution, organiser un concours. « Nous recevront et nous insérerons dans le journal toutes les propositions qui seront faites. Le concours sera fermé le 15 octobre prochain ; à cette époque nous ferons le choix de l’expression qui nous paraîtra la plus convenable, et nous nous en servirons dans le journal. L’auteur recevra pour indemnité un abonnement gratuit au journal pendant toute sa durée. » Pour mémoire rappelons que le prix de l’abonnement annuel à l’Echo de la Fabrique est de 11 Frs.
Ce concours sera particulièrement suivi par Chastaing qui le 16 octobre, au lendemain de la clôture du concours, fera devant le comité de surveillance du journal un rapport détaillé. Avant que celui-ci se prononce, une commission sera nommée, composée de quatre membres, Bofferding, Falconnet, J. Marrel et Berthelier, afin qu’elle donne « un avis motivé ». L’organisation même de ce concours défini assez bien l’état d’esprit qui préside à l’Echo de la Fabrique. Le 2 septembre le journal publie un avis pour préciser son objectif et son importance : « L’importance d’un terme euphonique et simple pour désigner la classe des ouvriers ou tisseurs de soie ne saurait être révoqué en doute. » Il ne néglige aucune des difficultés qui vont survenir dès que le mot adéquat sera trouvé : « Nous savons que ce mot nouveau éprouvera des difficultés pour être adopté, mais il n’en éprouvera pas plus que n’en n’ont subi l’établissement du calcul décimal, de l’unité des poids et mesures, et des mots qui servent à les désigner comme le mètre, le stère et leurs dérivés etc… nous espérons parvenir au même résultat… » Enfin originalité de ce concours, il va être un prétexte à débat. Pas question de simplement choisir. « Nous prions nos correspondants de vouloir bien dater leurs lettres et mettre leur adresse en bas, parce que nous nous réservons, si nous le jugeons convenable de les convoquer pour débattre entre eux, leurs opinions de vive voix. »
Le 16 octobre Marius Chataing fait son rapport auprès de la commission de surveillance de l’Echo. Un long rapport puisqu’il faudra deux numéros pour en avoir une connaissance complète. S’il convient que « la question qui nous occupe semble au premier coup d’œil être oiseuse… », c’est pour immédiatement replacer cette démarche dans le contexte du moment : «… cependant elle ne l’est point ; elle est la suite du mouvement social dont aujourd’hui nous sommes spectateurs en même temps qu’acteurs. Notre programme « amélioration physique et morale de la classe prolétaire » est le résultat de la marche de l’esprit humain auquel nous avons dû nous associer. La discussion qui s’agite actuellement en est une conséquence. » Puis le rédacteur en chef de l’Echo va analyser le travail des ouvriers en soie. « La classe des ouvriers en soie comme toutes les autres se divise en un grand nombre de professions ayant chacune un nom distinct. » Et de citer les veloutiers, les rubaniers, les satiniers, les taffetatiers mais il souligne que ces « divers états réunis en forment un seul désigné par un sobriquet devenu à Lyon une injure, je ne sais pourquoi. Ce sobriquet, c’est le mot CANUT. » Il note qu’ainsi, afin d’éviter de l’employer, « il faut se servir d’une périphrase et dire : Fabricants d’étoffes de soie ou ouvriers en soie. » Mais il y a mieux. Marius Chastaing nous dresse un tableau des différentes activités des Canuts : « Par suite de l’extension de l’industrie, des caprices de la mode, ces appellations sont inexactes car l’ouvrier en soie de nos jours ne fabrique pas seulement des étoffes de soie mais toutes sortes de tissus ; il travaille la laine, le coton, le fil et la soie ensemble ou séparément et sans s’astreindre à un genre de tissage. » Ce dernier point le différencie des tisserands, des mousseliniers qui fabriquent uniquement de la toile ou de la mousseline.
Pour parfaire sa démonstration de l’importance d’un mot générique, le rédacteur en chef de l’Echo va prendre pour exemple les autres classes de la société. Dans le domaine religieux : « Sous le nom de prêtres on comprend toutes les fonctions sociales. » Dans celui de l’art : « Sous le nom d’artistes, le peintre, le sculpteur, le musicien, le mime ou le comédien et tous ceux qui exercent les arts libéraux. Le titre d’hommes de lettres se donne à tous les écrivains dans quelque genre qu’ils écrivent. Poète, grammairien, mathématicien, tous sont hommes de lettres. » D’autres secteurs de la société sont montrés en exemple. L’armée où du soldat au général, on est militaire. La justice où l’homme de loi peut être aussi bien un avocat, un avoué, un huissier ou un agent d’affaire. Bien entendu il n’oublie pas de citer celui de marchand ou de négociant, mots qui regroupe « ceux qui exercent un commerce plus ou moins étendu ». De ce tableau général il en tire la conclusion suivante : « C’est donc aux ouvriers de la fabrique lyonnaise seuls, qu’il manque un nom générique sous lequel ils puissent être désignés en corps et qui ne soit pas une injure. » S’il conçoit « le désagrément de faire du néologisme » il n’en demeure pas moins vrai pour le rédacteur que « dans un ordre de chose nouveau, il faut des noms nouveaux ». Il termine la première partie de son rapport en dénonçant la décision de certains d’adopter le mot de ferrandinier : « Quelques uns crurent trouver ce qu’ils cherchaient dans le mot de ferrandiniers ; ils étaient dans l’erreur. Vous connaissez l’étymologie de ce mot : il vient de ferrandine, étoffe passée de mode ; il ne peut donc pas plus servir à désigner en générale la classe des ouvriers en soie que tel autre mot spécial à l’une des nombreuses sous divisions de cette classe. Cependant, on afficha hautement la prétention de substituer le mot de ferrandinier à celui de canut. »
La deuxième partie du rapport va être consacré aux 41 mots envoyés par 25 lecteurs de l’Echo et parvenus au bureau du journal le 15 octobre. Mais on le verra, d’autres lettres et propositions vont parvenir jusqu’au printemps 1833. Ces lettres souvent d’un grand intérêt seront l’occasion d’un vrai débat qui dépassera le cadre du concours en lui-même. Comme il est signalé dans les notes de l’ENS qui accompagnent la numérisation de l’Echo de la Fabrique, parues le 7 avril 1833, «… les querelles de mots demeurent un enjeu central comme le signalera, quelques mois plus tard, la querelle sur l’usage du terme fabricant. » Marius Chastaing va dans un premier temps développer ce qu’il entend par « simple, « euphonique », complet ».
Simple : il doit un mot composé de peu de syllabes. Euphonique : il doit être agréable et facile à prononcer. Complet : il doit désigner suffisamment l’ouvrier en soie actuel qui tisse alternativement toutes sortes de matières.
Ces précisions données, un certain nombre de mots vont être exclus. En ce qui concerne le défaut de simplicité exit « maître tisseur de soie », « tisseur de soie », « maître fabricant d’étoffe de soie ». Ils sont composés de plusieurs mots, de plusieurs syllabes, ils sont trop longs. Passent à la trappe également pour des défauts d’harmonie 18 mots : « Textoricarien », « textorycien », « armuratisseur », « armatisseur », « cotisseur », « artisseur », « sericarier », « sericarieur », « sericareur », « sericariste », « sericariniste », « textorien », « sériciphante », « séricicophante », « séritextore », « séritexteur », « bombytexteur », « bombytextorien », « bombitissorien ». Enfin deux concurrents, Labory et Correard sont exclus ou plus exactement pour reprendre la formule de Chastaing, « se sont exclus eux-mêmes du concours puisqu’ils n’ont pas cherché à en remplir aucune des conditions. » Diable ! Qu’ont-ils fait pour mériter cette punition ? Ils ont tous simplement proposé le mot de… canut ! Pas par simple provocation. Labory n’est pas homme à faire des plaisanteries pour le plaisir.
Arrêtons nous un instant sur la personnalité de Bouvery C’est un militant très engagé dans le mouvement social et en octobre 1831 il fait partie de la « commission des chefs d’atelier de la ville de Lyon et des faubourgs », créée pour discuter de la fixation d’un tarif minimum pour les différents articles de soie. Ils sont 80, élus par les 8 000 chefs d’atelier. Il sera aux négociations des 21 et 25 octobre. Auparavant, en 1827, il fut un des membres du directoire de la Société de surveillance et d’indication mutuelle, association de défense des intérêts des chefs d’atelier face aux négociants. Après s’être fâché avec Charnier, à qui il reproche ses idées royalistes, il va fonder en compagnie de Bernard et Maçon-Sibut, Le Devoir Mutuel. C’est un homme qui interviendra très souvent au cours des débats ouverts dans les colonnes de l’Echo, il n’est pas étonnant qu’il donner son opinion. Son avis est important et sa lettre ne peut manquer de nous intéresser aujourd’hui. :
« Au rédacteur,
J’ai cru, Monsieur, que c’était une plaisanterie que votre concours ouvert pour trouver un nom euphonique, dites-vous, à la classe générale des ouvriers en soie. Je vois avec peine que vous y persistez : pourquoi donc, enfants ingrats, rougirions-nous du nom que nos pères nous ont laissé ! Pourquoi cette susceptibilité, pour mieux dire, cette pruderie ? Qu’a donc de déshonorant le nom de canut ? Qu’importe que ce soit par raillerie ou autrement qu’on nous le donne ? Par lui-même un mot n’a rien de fâcheux.
Appelons-nous canuts et soyons citoyens.
Votre concours à mon avis est inutile, et son but est oiseux ; ce n’est pas de trouver un nom à notre profession qu’il faut vous enquérir, permettez-moi de vous le dire, mais bien des améliorations à notre état social. Je me suis laissé dire que dans une ville qu’on appelait Byzance, et qui était assiégée par une armée ennemie, des moines qui l’habitaient discutaient gravement une question théologique ; pendant ce temps l’ennemi prit la ville, et les moines allèrent en esclavage continuer leur lumineuse discussion. Sans remonter à une époque éloignée, sous le consulat de Bonaparte, on discuta beaucoup sur l’importance relative des mots « citoyen » et « Monsieur » ; et pendant ce débat, la république périt*. Serions-nous, par hasard, à notre insu, dans une position analogue.
Je vous propose donc de fermer une discussion au moins intempestive, et de chercher au contraire à rendre au nom de canut toute la gloire qu’il mérite, étant porté par des hommes probes et laborieux.
Intitulez-vous hautement journal des canuts, on en rira d’abord, ensuite on s’y accoutumera ; ce nom deviendra aussi noble que celui de banquier, médecin, avocat, etc., et vous aurez fait un acte de haute sagesse.
Labory.
*Cela me rappelle également la querelle qui eut lieu entre Fénelon et Bossuet, au sujet de laquelle on lit ces vers que j’ai retenu : Dans ces débats fameux, où deux prélats de France, /Semblent chercher la vérité:/L’un dit qu’on détruit l’Espérance, /L’autre que c’est la Charité ; /C’est la Foi qui périt, et personne n’y pense. »
Marius Chastaing va répondre en arguant que l’Echo avait été sollicité pour cela par de nombreux chefs d’atelier et surtout qu’avec l’apparition du mot de ferrandinier « il nous convenait de régulariser cette pensée. » Quand à la crainte exprimée de voir le journal détourné de sa tâche essentielle, il réplique simplement : « Notre passé doit répondre de notre avenir. »
Pour en revenir au rapport de Chastaing, après cette première sélection, il reste 18 mots en lice. Il faut maintenant vérifier la 3ème condition. Le mot doit être le plus complet. C’est la phase décisive. Voici les finalistes : « tissericien », « tisseur », « tissoie », « arachnéen », « polymithe », « tissutier », tissoyer », bombixier », « tissoyen », « tissoierien », « pamphilarien », « bombitisseur », « soerinier », « soierineur », « soieriniste », « seritisseur », « bombicinaire », « omnitisseur ». A l’évidence certains ne remplissent pas la condition exigée. 6 seulement paraissent retenir l’attention du rédacteur : « tisseur », « arachnéen », « polymithe », « tissutier », « pamphilarien », « omnitisseur ». Seulement remarque tout aussitôt le rapporteur « trois de ces mots sont empruntés : deux à la mythologie (arachnéen et pamphilarien) et l’autre aux abstractions d’une étymologie savante (polymithe). Ils ne me paraissent pas pouvoir être adoptés par le fait seul qu’ils sont trop en dehors des idées reçues ; on ne pourrait s’en servir que d’une manière scientifique où dans un langage poétique. Je crois qu’il serait difficile de les transporter dans la langue vulgaire. » Au passage Marius Chastaing, c’est un souci constant chez lui, va faire œuvre de pédagogie en citant les arguments de Colomb, père et fils qui proposèrent les mots empruntés à la mythologie : « Arachnée fut une habile ouvrière sur les tissus et osa défier Minerve et même la surpassa. La déesse irritée la changea en araignée. Pamphila, de l’île de Cos, connut la première l’art d’ouvrer la soie. » En ce qui concerne cette dernière explication il faut savoir que c’est une idée répandue à cette époque de situer la naissance du tissage de la soie dans cette île. Quand au mot polymithe « qui serait encore moins compris » explique-t-il « M. Bitry qui le propose en donne les racines. On trouve dans ce mot fil, tissu, trame, broderie, et il en conclut que l’ouvrier qui emploie tout cela est polymithe comme l’écrivain qui traite divers sujet s’appelle en littérature polygraphe. »
Si la commission rejette ces trois mots, il ne reste plus que « tisseur », « tissutier », « omnitisseur ». Marius Chastaing donne sa préférence : « Si vous me demandez mon avis, je voterai pour le mot de tisseur ». Mais ce n’est pas lui qui doit choisir et comme il se rend compte qu’il laisse au jury que bien peu de possibilité, il va faire une proposition plus large. « Comme je ne dois omettre aucune des combinaisons qui se présentent, si vous teniez moins au sens complet du mot que vous choisiriez qu’à son euphonie ; si vous pensiez qu’il n’est pas nécessaire de s’occuper de la désignation des matières diverses dont l’ouvrier en soie fait ses tissus et qu’en indiquant la classe des ouvriers en soie on a satisfait au concours, le cercle s’agrandi. » En effet, au lieu de 3 mots possible, en reprenant ceux proposés qui se rapportent au tissage de la soie par l’étymologie, « soie » ou « serica » dans sa version latine et « bombyx », on arrive à 12 noms possibles. Le rapporteur va même ajouter une autre combinaison proposée par un veloutier qui « consiste à prendre pour racine du mot nouveau, à former le mot technique et connu de soie, de lui donner une désinence également connue et en usage. » Ainsi appeler l’ouvrier en soie, « soierinier », soierineur », soieriniste ». Chastaing termine là son exposé non sans avoir demandé la permission de faire insérer dans le journal la lettre de Labory, celle de Bitry sur le mot polimythe et celle du veloutier anonyme.
On pourrait croire le débat clos et laisser la commission trancher. Il n’en sera rien. Ce n’est pas l’esprit du moment et les canuts ont soif de débats. Ainsi parallèlement aux textes traitant du conseil des Prud’hommes, du droit de coalition, de la situation économique de la soie etc, va s’instaurer dans les pages de l’Echo, un débat grammaticale. Les lecteurs vont montrer l’intérêt qu’ils portent à la langue française et leur grande culture. Parfois le mot canut qui après tout est à l’origine de ce concours, va passer au second plan et l’on note en feuilletant l’hebdomadaire que des tisseurs vont assumer pleinement ce mot, le revendiquer. On le remarque dans les signatures lors de la publication des souscriptions au profit des victimes de novembre 1831 ou d’autres actes de solidarité financière. On lira par exemple : « un canut » et même, à une époque où cet adjectif n’était pas en odeur de sainteté : « un canut républicain ». Ratelade, chef d’atelier enverra un poème intitulé tout simplement « Le Canut » dont les premiers vers sont :
« Je suis canut, et gaîment je m’appliqueAux nouveautés, aux articles de goût ;Je suis joyeux, quand j’ai dans ma boutique,Crêpes, zéphyrs, et gaze marabout,Ou quadrillés écossais pour doublurePour les manteaux de plus d’un élégant ;Pourtant le froid tous les hivers j’endure »
Louis Couailhac, un jeune auteur, publiera dans l’Echo au printemps 1833, une nouvelle ayant pour titre… Le Canut. Voilà qui montre que l’on ait loin d’une unanimité sur la détestation de ce terme et que beaucoup de tisseurs ou Lyonnais partageant leur combat, sont de l’avis de Labory. Il y a une certaine fierté à revendiquer ce mot.
Le rapport de Marius Chastaing et les lettres qui l’accompagnent vont susciter de nombreuses réactions au point d’obliger le gérant à accepter, alors même que le concours est terminé, d’autres propositions de termes génériques. Ainsi vont arriver à la rédaction les mots de « étoffier », « étoffiste », « soiefèvre », « sérifèvre », « fabrissoie », « fabriséricien ». M. Marmet, chef d’atelier, propose par exemple à la place d’ouvrier en soie, « tissufacteur.» Un lecteur M. Du Nagell, celui qui a proposé soiefèvre, explique sa démarche. « Pourquoi n’emprunteriez-vous pas au latin le mot « faber », ouvrier, qui joint au nom de la matière formerai un nom composé, complet et euphonique. Ainsi vous avez fait pour orfèvre ‘ouvrier en or) pourquoi ne diriez-vous pas « soiefèvres », « soieriefèvres », « sérifèvres », ouvriers en soie. » Puis prenant pour exemple le mot de fabricant qui désigne le négociant « les ouvriers pourraient s’emparer de ce mot « fabri » (ouvriers) et en substituant à la désinance insignifiante « cant » le nom de la matière, faire « fabrisoie. » Dans sa lettre Du Nagell livre son sentiment sur le mot de canut et apporte une précision historique : « Le nom de « canut » n’a rien de déshonorant, il a été celui de plusieurs rois de Suède et de Danemark qui ne lui ont rien légué de ridicule. » Il admet seulement que « si les ouvriers qu’il désigne s’obstinent à le prendre pour insulte, il convient qu’ils en changent. » Notons que ce lecteur n’est pas Français puisqu’il termine sa lettre ainsi : « Quoique étranger à votre belle France, je prends la liberté, monsieur le rédacteur, de vous adresser ces observations. »
Le journal va recevoir une lettre datée du 18 novembre 1832 et signée Beaulieu, professeur de français. C’est une date capitale dans l’histoire de ce concours. Ce professeur va apporter dans le débat des notions scientifiques. Dans sa première missive, il commence à mettre en garde les organisateurs. « Peut-être n’est-il pas aussi indifférent qu’on le pense dans l’intérêt des arts, de craindre de remplacer celui qui existe maintenant (celui de cannu) par un autre moins expressif et peut-être moins significatif, que la suite des temps, ainsi que celui ci-dessus, peut faire tomber dans une sorte de dépréciation par un mépris mal fondé, dicté par l’égoïsme ou un sot orgueil. » Puis il propose de développer 3 points sur ce sujet : « 1° l’importance de l’étymologie des noms collectifs généraux et participatifs ; 2° je donnerai un aperçu des noms génériques qui désignent les objets dont on se sert dans les fabrication des étoffes de soie ; 3° l’origine et l’étymologie du nom de « Cannu » : les différents changements et variations qu’il a subi, ainsi que l’idiome particulier qui, jusqu’à la révolution française, a été celui de cette classe de la population lyonnaise. » L’Echo de la Fabrique est très intéressé par la proposition et Beaulieu va pouvoir dès le mois de novembre 1832 donner de véritables leçons de grammaire qui seront d’ailleurs l’objet de réactions, de compléments de la part d’autres lecteurs, loin d’être tous des professionnels de français.
Il va d’abord aborder l’étymologie « ce mot dérivé du grec ; ses racines sont : ety, qui dépend, mologie, parole, c'est-à-dire parole dépendante d’une autre ou analogue à une autre d’un même sens. » De manière très pédagogique Beaulieu va expliquer que l’étymologie « est fille d’origine et pour établir combien sa conservation peut-être utile, on remarquera que c’est elle qui est la clé qui nous ouvre l’histoire des siècles passés ; puisqu’elle nous conduit à découvrir l’origine, comme on le verra en parlant des mots orientalis, byssus ou satin, qui sont des mots dont les anciens se servaient pour indiquer la soie et sa fabrication. » Puis il poursuit en indiquant que l’étymologie des noms s’établit de 3 manières : « La première, sur la nature même des choses, se crée par l’effet que produit sur nos sens l’apparence de cet objet même exprimé d’après la signification du langage dont on se sert, pour établir ce nom, tels brute, naïf etc. La deuxième manière, par l’analogie ou ressemblance avec quelque autre objet primitif, tels que printemps de la vie, glace de miroir etc., et tout ce qui rentre dans l’explication des tropes. La troisième, par une dénomination fantastique, venant souvent de celui qui crée la forme de l’objet, tels que quinquet (de Jean Quinquet, inventeur de ces sortes de lampes.) » On le voit, il ne s’agit pas pour l’Echo de la Fabrique d’éviter les difficultés. A l’évidence, s’il publie ce véritable cours, c’est qu’il est persuadé qu’une grande majorité de ses lecteurs sont à même de suivre l’enseignement du professeur. Beaulieu conclut son exposé en soulignant une fois encore le danger de tout changement sans référence à l’étymologie. « L’étymologie, prise dans sa signification primitive, a un sens dont la conservation est d’autant plus essentielle qu’elle sert à maintenir un rapport dans nos idées, ce qui est le moyen de transmettre d’âge en âge des expressions intelligibles qui, si elles étaient changées arbitrairement, causeraient un désordre dans l’interprétation, dont le résultat pourrait nuire à l’intérêt de chaque individu ou à ceux de la société. »
Quelques jours plus tard, l’Echo de la Fabrique publie une nouvelle lettre de Beaulieu datée du 27 novembre 1832. Elle est d’une importance de premier ordre puisqu’elle va nous livrer l’origine du mot canut. « D’après ce qui a été dit dans ma précédente sur l’étymologie et sur son importance, je crois donc ne pouvoir mieux conclure que d’examiner la signification de celui de cannu. » Remarquons que notre professeur écrit : « cannu ». Il poursuit : « Ce mot, diminutif de celui de canneur, celui-ci de canneta, mot italien dérivé de celui de canne ou cannelle, roseau assez généralement connu ; il fut apporté en France lors de l’émigration des Florentins, qui établirent, les premiers à Lyon et avant à Avignon (comtat) des métiers pour fabriquer des étoffes de soie, relativement aux articles légers et non des étoffes d’or et d’argent depuis longtemps établies avant cette époque. » Cette étymologie donnée, il évoque l’ouvrage de Aleon-Dulac (1723-1788), avocat et auteur d’un mémoire « pour servir à l’histoire naturelle des provinces de Lyonnais, Forez et Beaujolais » qui avait observé « en parlant des fabriques en France que les principaux ustensiles qui servaient à cette fabrication étaient de canne et préférés sans doute à cause du poli et de la légèreté de ce bois ligneux. Le mot trancanner ou transcanner signifiant transmettre d’une canne sur une autre, prouve assez cette vérité. » Pour expliquer la terminaison en « u » il écrit : « Dans l’ancien idiome lyonnais on observe que tous les mots dont les syllabes se terminaient en « eur », « eux », « euf », « arc », « art », « oi », « oir », etc., se prononçaient et ce prononcent encore, par les vieillards, en « u », liseur, lisu ; farceur, farçu ; fileur, filu, etc » Ainsi pour Beaulieu canneur a donné cannu qui lors du passage du parler à l’écrit deviendra canut. 60 ans plus tard, Clair Tisseur, plus connu sous le nom de Nizier du Puitspelu, auteur du Littré de la Grand’Côte ne dira pas autre chose : « …de canne, plus le suffixe « ut » pour « u » qui représente le latin « orem », français « eur ». Le canut est donc celui qui use de la canne dont a été faite la canette. » On peut donc aujourd’hui abandonner sans complexe et sans regret les explications sur l’origine du mot canut qui font état d’un rassemblement de maîtres tisseurs ayant été obligés de vendre les signes distinctifs de leur art, accrochés aux pommeaux de leurs cannes, faisant dire à un humoriste de la place des Terreaux : « Tiens, voilà des canne… nues ! »
Beaulieu aurait pu clore ainsi le débat. Mais il n’oublie pas le sentiment que certains tisseurs ressentent d’un mot qui les désigne de façon péjorative. Il va donc proposer de garder la racine du nom tout en procédant à quelques changements. « Les noms les plus harmonieux sont ceux qui passent le moins d’usage ; donc, tout en conservant celui-là, on pourrait lui faire subie quelque changement dans la prononciation et dire par exemple : Canneuriens, cannetatiens etc. » Seulement il remarque que « ce mot ne pourrait pas exprimer la nature du bois des outils dont se servent les ouvriers, puisque la canne y est très peu employée. » Nous pourrions aujourd’hui ajouter en souriant qu’Aristide Bruant qui va rendre hommage aux canuts soixante ans plus tard, n’aurait pu écrire « c'est nous les canuts / Nous sommes tous nus. » C’est beaucoup plus difficile de trouver une rime si forte à canneuriens.
Afin de garder une logique à laquelle il tient, Beaulieu va proposer de s’intéresser au mot primitif et de la plus ancienne origine. « Ce mot est oriantalis qui signifie homme ou peuple du levant, lequel étant accompagné de celui de byssus-satin, étoffe très belle et très fine, faite de lin avant d’être de soie. Ces deux mots, signifiant homme ou peuple fabricant le satin, seule étoffe avec la pourpre connue des anciens peuples orientaux. » Après avoir précisé qu’il ne fallait pas confondre le mots oriantalis, oriantin avec orientales ou peuples orientaux, « le premier désigne un peuple particulier s’occupant de faire l’étoffe nommée levantin-satin », il propose en ajoutant « lin » dont le fil du satin était fait, le mot d’oriantalin, oriantaline.
Ces propositions vont susciter bien évidemment des réactions. La première est celle de Raoul, un veloutier. Une longue lettre où il passe en revue différentes suggestions. En ce qui concerne celle de Beaulieu, il la rejette, non sans humour : « Si l’on nous désignait à l’avenir par le nom d’oriantalin, ne devrait-on pas alors donner à notre industrie celui d’orientalinerie et à nos produits le même nom au pluriel et ainsi des autres, sous peine d’encourir le reproche d’inconséquence ? A propos du mot « oriantalin », un plaisant m’a dit que ce terme « désorienterait » bien du monde… » Au passage il donne un éclairage supplémentaire sur la façon dont les tisseurs perçoivent le mot de canut : « Quand au mot « canut » ou « cannu » j’avouerai ingénument qu’il m’a paru être, non pas une épithète injurieuse, mais simplement un terme d’innocente raillerie donné et reçu comme tel. » Il n’en est pas pour autant en accord avec Labory qui lui, revendiquait ce terme. « Ainsi, pour les autres professions, nous avons les termes de « gniafre », « merlan », « mitron », « pique-prunes », etc., (dans la langue parlée seulement) sobriquets dans jamais nul individu ne s’est jamais sérieusement ni hautement qualifié. » Raoul a proposé soierinier, soierineur, soieriniste, et il y tient. C’est donc avec quelque agacement qu’il termine son exposé : « Se livre qui voudra à de savantes recherches pour déterrer l’étymologie d’un vieux mot ou sobriquet ; libre encore, à qui en aura le loisir de conserver pour lui une tendresse affectueuse ; quand à moi, j’ai pensé qu’il n’était pas nécessaire d’aller si loin (au risque de ne rien trouver) ce que l’on pouvait si facilement et si certainement se procurer si près ! Je suis de l’avis de ceux qui désirent qu’on en finissent avec toutes les vieilleries qui n’ont pour elles d'autre mérite que celui-là (si c'en est un) ; j'ai pensé aussi que le plus ou le moins de précision d'un terme n'influait pas beaucoup sur l'avancement de la science ou le développement de l'industrie qu'il devait servir à désigner !... Je m'en tiens donc tout bonnement à l'un des mots que j'ai proposés, comme dérivant naturellement du terme générique "soierie", persuadé que jamais les conseils du bon sens ne sont à dédaigner ; et qu’en toutes choses, c’est toujours à ce qui vient de là, que le plus grand nombre finit par donner son adhésion. »
Nous sommes maintenant à la fin de l’année 1832, le concours est censé être terminé depuis le 15 octobre. Pourtant l’Echo de la Fabrique continue à publier les lettres des lecteurs qui sont loin d’être sans intérêt. Par exemple celle qui est signée J. H. Prolétaire. Il va tout d’abord s’inquiéter du silence de la commission qui ne s’est pas encore manifestée. « Le silence que garde la commission du concours doit faire croire qu’elle adopte l’opinion de M. Labory et que malgré les justes raisons de M. le rapporteur, les reproches d’ingratitude que nous fait notre honorable collègue seraient fondés. » A son tour et après avoir pris la défense de Marius Chastaing, l’initiateur du concours, il va donner lui aussi un éclairage sur le sentiment qu’inspire le mot de canut : « En observant que le mot canut n’ayant jamais été qu’un sobriquet pour les ouvriers en soie, il serait impossible à M. Labory de trouver quelques actes où nos pères aient érigé ce mot en nom, et lui-même ne s’en est jamais servi. De plus, ce mot étant devenu à Lyon une épithète injurieuse, il ne peut être adopté, malgré la nécessité où sont les ouvriers en soie de se choisir un nom, étant la seule classe qui n’en ait pas. » Le lecteur fait allusion à une des phrases écrite par Labory : « … pourquoi donc enfants ingrats, rougirions-nous du nom que nos pères nous ont laissé ! » Puis il presse l’Echo de la Fabrique de poursuivre le concours. « Il était urgent de faire un appel, vous l’avez fait et il a été entendu ; 42 mots vous ont été soumis et s’il n’y en a aucun que vous puissiez adopter, faites un second appel, croyez qu’il sera aussi entendu et pénétrez-vous bien qu’il faut un nom aux ouvriers en soie, que ce besoin est un résultat du mouvement progressif et universel. » Il termine sa lettre en rejetant les mots qui pourraient désigner aussi bien le tisserand, le mousselinier que l’ouvrier en soie, comme tisseur, tissutier, omnitisseur, il va proposer un mot intéressant. C’est « turquetnariste ». Il s’explique sur son choix : « Ce mot rappelle les noms de Turquet et de Nariz qui fondirent en 1536, la fabrique des étoffes de soie à Lyon. En adoptant ce mot, nous rendrions après trois siècles d’oubli, un hommage de gratitude à la mémoire des deux hommes qui ont le plus contribué à la prospérité de notre cité ; et nous prouverions à nos détracteurs que la reconnaissance est aussi une de nos vertus. Turquet ! Nariz ! Une population héritière de votre industrie, transmettrait aux siècles à venir, et vos noms et sa reconnaissance. » Voilà qui nous donne un beau sujet de méditation plus que profitable aujourd’hui. Ces phrases sont un exemple fort de l’esprit des canuts de cette période et ne peut que nous interpeller quand on songe au grand nombre d’idées reçues qui circule encore. Quelques années plus tard, en 1838, il sera attesté une impasse Etienne Turquet qui prend naissance montée de Choulans. Quand à Nariz il eut une rue dans le 5ème arrondissement qui a disparu lors de la création de la place Benoît Crépu.
Dans le premier numéro de l’année 1833, un petit article sans doute inspiré par l’évocation par J.H. prolétaire, du sobriquet « canut » va donner l’origine d’autres sobriquets dont certains sont parvenus jusqu’à nous :
« Mitrons : Ce mot vient du latin mitra, mitre, coiffure assez en usage en France au 14ème siècle ; on a depuis désigné sous ce nom les garçons boulangers qu’avant on nommait geindres (de gendre ou premier garçon.) Le mot de mitron leur est resté parce que lorsqu’un boulanger engageait un premier garçon à son service, il s’engageait à lui fournir par an, en outre de ses gages, 3 devantiers (tabliers), et 2 mitres ou bonnets ; cette coiffure était en drap et en forme de cône. Ceci me rappelle que le mot boulanger vient de pollenguer, de mot italien pollenta qui en Italie est encore usité, dont s’est formé celui de bolanguer et bouliguer qui signifie remuer ; donc, bolanger la farine veut dire remuer, pétrir. » Nizier du Puitspelu dans son Littré de la Grand’Côte écrit : Bouliguer : Remuer, secouer, agiter. Il note également le mot de pique-prune : Tailleur. Piquer est pris ici au sans de manger, comme l’indique dans des dialectes, la forme croque-prune. L’origine m’est inconnue. » Et bien l’Echo de la Fabrique en avait pourtant donné l’explication 60 ans plus tôt…
« Piques-prunes : Quatre garçons tailleurs, dans les environ de Tours, (Touraine) s’étant rendus coupable d’avoir dérobé quelques uns de ces fruits (prunes) dans le verger d’un nommé Pivac, furent condamnés chacun à 3 sols 6 deniers pour dédommagement. »
Un autre sobriquet que les Lyonnais d’aujourd’hui connaisse bien, celui de Gniafre. Gnafron est le compère de Guignol :
« Gniafre : Ce sont les cordonniers qu’on désigne par ce sobriquet. Pour l’entendre, il faut d’abord savoir que le mot de cordonnier vient de cordouannerie, dérivé de cordouan, qui vient de couair primitif de cuir. Ce mot est celte d’origine et dans cet idiome cordonnier est exprimé par cordougnafrier, dont, sans doute, celui de gniafre n’est qu’un diminutif, comme celui de truand (de truanderie) signifie mendiant. »
Pour terminer un sobriquet qu’on pouvait penser issu de l’argot, il n’en est rien :
« Merlan : On désigne par ce nom les garçons perruquiers, parce qu’à Paris et dans les villes maritimes de France, il était autrefois d’usage dans cette profession que le maître fournissait à ses garçons un merlan (poisson) pour chaque déjeuner, comme un commis ont, dans certaines maisons, une miche et du vin. »
Dans ce même numéro le gérant Berger annonce une réunion pour le lendemain, de la commission du concours. Chastaing devrait y lire un second rapport suivit d’une délibération. Il promet de faire connaître les résultats. En fait, dans le numéro du 13 janvier, simplement une petite brève : « MM. Beaulieu, Berger (Louis), Bitry, Bofferding, Bouchut (Cl.), Bouvery, Charbon, Charnier, Cheneval, Collomb père, Collomb fils, Cornillon, Domaine jeune, Dunagel, Favier (L.) Guillot, H… (J.), Janin, Leborgne, Marmet, Meziat, Morel (D.), Raoul, Rémond fils, Renigu, Thevenin, Topin, V…, Vernay (L.-F.) et Vettard, les deux anonymes qui ont proposé les mots de tissérier et tissandier, tous concurrents, sont priés de se rendre lundi prochain, 14 janvier heures bien précises du soir, au bureau de l'Echo, pour conférer avec la commission du concours. MM. Corréard fils et Labory, sont également priés de s'y trouver. » Notons au passage qu’il n’est pas tenu rigueur à Corréard fils et à Labory de leur opposition à un changement du mot de canut.
En février pas un mot, c’est le cas de la dire, sur le concours. Il est vrai que c’est une période intense pour l’Echo qui doit faire face à un procès, soutenir les ouvriers tullistes en lutte et polémiquer avec le Courrier de Lyon. Pourtant la préoccupation concernant les mots justes qualifiant les activités reste à l’ordre du jour. Ainsi, dans le numéro du 10 mars, le journal publie quelques lignes du Courrier, journal maudit, sous le titre ironique de « Conseil ». Avec subtilité, le droit de coalition est interdit et l’Echo fait campagne pour l’obtenir, le journal va simplement changer un mot de cet article qui s’adressait aux négociants :
« C’est à l’imprudent isolement des chefs d’atelier qu’il faut attribuer en grande partie le malaise de leur position. La question changera de face le jour où ils parviendront à s’entendre sur leurs intérêts communs. Ils n’auront aucun moyen de résister à des exigences incompatibles avec la liberté du commerce, tant qu’ils ne se seront point organisés en société, et qu’ils n’agiront point avec unité et ensemble. S’ils veulent s’affranchir d’un joug fatal à leur belle industrie, qu’ils soient solidaires les uns des autres. Qu’ils s’aident eux-mêmes s’ils veulent que l’administration les aide avec succès. Nous n’entendons pas parler d’une coalition dont le but serait d’imposer aux industriels une augmentation de salaire ; elle serait aussi coupable que celle dont le but serait la réduction des salaires ou la suspension du travail ; mais l’union des chefs d’atelier et l’institution d’un cercle où seraient discutés les besoins de la fabrique, n’auraient rien que de parfaitement légal. »
Sous cet article, une petite note :
« Nota. Nous empruntons l’article ci-dessus au Courrier de Lyon (7 mars 1833, n° 425). Nous ne lui avons fait subir qu’un léger changement ; nous avons substitué le mot chef d’atelier à celui de fabricant*. »
Et l’Echo s’explique sur ce changement ce qui nous ramène à l’objet ses préoccupations :
« *Les querelles de mots sont loin d’être aussi oiseuses que certains le prétendent, dans un but qu’il est facile de dévoiler. M. Odilon-Barrot, par exemple, en protestant contre le mot sujet a fait un acte de grand sens ; et nous, en protestant contre l’expression de fabricant donnée aux négociants, nous ne croyons pas non plus élever une vaine dispute de mots ; malgré l’assertion tranchante et hautaine du Courrier, nous persistons à dire que le fabricant est celui qui fabrique : or, le négociant ne fabrique rien, il fait fabriquer, il invente, il dispose, etc. ; c’est par conséquent un industriel dans l’acception la plus étendue et la plus honorable. Loin de nous l’idée de ravaler les marchands au-dessous des ouvriers, mais nous ne voulons pas qu’à l’aide de l’usurpation d’une qualité qui n’est pas la leur, ils empiètent sur les droits des ouvriers qui sont les seuls et véritables fabricants. »
Comme très souvent dans pareil cas, les lecteurs vont prendre leurs plumes et s’exprimer sur le sujet. C’est un professeur de grammaire qui poursuit l’analyse : « Dans votre numéro du 10 mars, à la suite de votre ingénieuse application d’un article emprunté au Courrier de Lyon, vous avez dans une note, fait comprendre l’importance que l’on doit attacher à la signification d’un mot ; mais quelque explicite que soit votre raisonnement, je le crois trop succinct pour suffire à faire comprendre d’une manière concluante ce qu’on doit entendre par le mot de fabricant. Considérant ce mot sous le rapport de la spécialité, vous dites que le négociant, que l’on qualifie de fabricant, ne fabrique rien et qu’on ne peut appeler de ce nom que celui qui fabrique. Vous avez parfaitement raison. » Après avoir donné sa caution de professeur de grammaire, le lecteur développe le propos : « Pour envisager la juste appréciation du mot « fabricant », il faut poser la question en dehors de toute spécialité, soit locale, soit individuelle. Ainsi pour prouver si cette dénomination de fabricant est exacte dans l’application qu’on en fait, j’établirai, m’appuyant sur les principes de la syntaxe grammaticale et la syntaxe logique, quelques observations qui en seront la conséquence. Quelque soit un mot de la langue française, sa signification ne peut être envisagée que sous deux rapports. Sous celui d’un sens littéral et sous celui d’un sens générique. Or qu’est le mot fabricant sous le premier rapport ? Un participe actif, exprimant une action ayant un régime, en cela il n’a point de rapport avec les « personnes », ne signifiant qu’une action purement passive ou bien un adjectif verbal. En ce cas il ne serait relatif à aucune profession particulière. Sous ce rapport, l’appellation des négociants par ce nom est on ne peut plus inexacte. On ne peut donc l’envisager que sous sa signification générique et cela dans une acceptation tacite, accidentelle ou de convention, et alors ce mot dont l’origine (en ce sens) ne remonte pas à une cinquantaine d’années, n’a jamais été employé dans aucun écrit relatif au commerce, pour désigner un négociant qui fait fabriquer et la dénomination d’usage était « marchand d’étoffes, etc. », ou si l’individu possédait des fabriques, on disait « marchand et maître en fabriques », etc. » Ce texte assez difficile prouve une fois encore la capacité intellectuelle des lecteurs de l’Echo de la Fabrique et renseigne sur l’esprit qui préside à la rédaction. Toujours aller au plus profond de la réflexion, s’appuyer sur l’analyse de spécialistes, ne rien négliger de l’apport scientifique. C’est une constante quelque soit les sujets abordés d’octobre 1831 à mai 1834.
Le concours, lui, ne va pas fort. On attend toujours le résultat de la délibération de la commission. Un article parait le 31 mars 1833 intitulé « Leçon grammaticale ». Il s’agit là d’évoquer les distinctions sociales à travers les termes comme « monsieur », « le nommé » ou « le citoyen ». L’entame est volontairement provocatrice : « Que vous êtes sots vous autres qui croyez que 1789 et 1830 ont aboli les distinctions sociales dont la vanité des hommes est si avide ; détrompez-vous, elle n’ont fait que changer de nom, elles existent aujourd’hui tout aussi vivaces que dans les temps féodaux les plus reculés. » Après avoir disserté sur les emplois de messieurs, de monsieur, de citoyen, le nommé ou encore « un certain… », le rédacteur de l’article nous livre un exemple : « Un de ces jours derniers, trois personnes étaient dans la cour de l’Hôtel de Ville de Lyon, un fonctionnaire public appelé Voron, un voyageur indigent appelé Cohen et un antiquaire appelé Prost. Eh bien ! Le premier doit s’appeler Monsieur Voron, le second le nommé Cohen, le troisième le citoyen Prost. Cela est facile à comprendre. Pourrait-on dire : le citoyen Voron ? Non, il s’en fâcherait tout comme si l’on disait : le nommé Voron, et dès lors il faut dire : Monsieur Voron ; c’est clair cela. Une querelle s’engage entre les deux premiers. Le nommé Cohen est, dit-on, malhonnête envers monsieur Voron, et dès lors, conformément aux us et coutumes des temps féodaux, le Monsieur emploie avec justice contre le nommé, pour le faire taire, les moyens coercitifs que les nobles employaient jadis contre les roturiers, serf et vilains (mots tout à fait synonymes). Le citoyen Prost intervient, il prend fait et cause pour le nommé et il va dénoncer à un magistrat supérieur les moyens coercitifs employés par son subordonné. Mais le magistrat supérieur ne voit là aucun grief et nous sommes de son avis. Les nommés ne doivent parler que chapeau bas et sans répliquer aux messieurs, à moins toutefois que les citoyens ne s’en mêlent activement, auquel cas la partie pourrait bien ne plus être égale pour les messieurs, à moins encore qu’il ne prenne fantaisie aux nommés de repousser les moyens coercitifs des messieurs, par d’autres, semblable. Honneur à Monsieur Voron, grâce à lui une question importante va s’agiter, celle de savoir : Si les moyens coercitifs sont permis aux messieurs contre les nommés. »
On le voit l’Echo de la Fabrique n’hésite pas à partir de faits réels de souligner l’importance des mots et bien entendu l’injustice de l’acte commis. A la suite de l’article le journal, afin d’être le plus complet possible, va relater l’incident :
« Il y a quelques jours un voyageur indigent se présenta au bureau des passeports. Il réclamait au chef de ce bureau, M. Voron, des secours pour continuer sa route. Il éprouva un refus que nous voulons croire être légal, ce qui ne prouverait pas qu’il fût juste ; peut-être fut-il alors malhonnête et importun, mais c’est bien la misère qui a le droit d’être malhonnête et importune si ce droit existe ; la malhonnêteté et l’importunité sont d’ailleurs en général des vices d’éducation, et sous ce rapport encore la misère est excusable. M. Voron s’emporta et s’oublia jusqu’à frapper ce malheureux. M. Prost, qui passait, épousa la querelle de cet homme indigent ; il paraît même qu’il alla se plaindre au commissaire central de police de la conduite de ce chef de bureau, et qu’il n’obtint pas de réponse satisfaisante ; cet honorable citoyen a livré à la publicité, par une lettre insérée au Précurseur (22 mars, n° 1939), la conduite de M. Voron. Ce dernier y a répondu par une lettre assez étrange, également insérée dans le Précurseur (23 mars, n°1940), et qui commence par ces mots : Le nommé Cohen, etc. On y trouve l’aveu de l’emploi d’un moyen coercitif pour le faire taire, etc., et les expressions de un homme, le sieur, en parlant de M. Prost. »
Enfin, le 7 avril 1833, parait un article signé par Marius Chataing :
« CONCOURS
Ouvert sur l’adoption d’un terme générique, pour désigner la classe des ouvriers en soie d’une manière complète, simple et euphonique.
Rapport fait le 7 janvier 1833, à la commission du concours, par M. Marius Chastaing, rédacteur en chef de l’Echo de la Fabrique.
Messieurs, dans un précédent rapport fait le 16 octobre dernier à la commission de surveillance du journal, et qui vient de passer sous vos yeux, après avoir fait sentir l’utilité du concours qui nous occupe, j’ai dressé le tableau des concurrents et des mots proposés par eux. Le nombre des concurrents était de 25. Celui des mots proposés de 41. J’ai appelé spécialement l’attention sur les mots tisseur, soierinier, soieriniste et séritisseur. J’ai exprimé le regret que le mot polymithe fût peut-être trop recherché pour être adopté et j’ai proposé la nomination d’une commission spéciale, en même temps que l’impression de quelques lettres utiles pour initier le public aux motifs de la décision à intervenir.
Il a été fait droit à ces demandes, vous avez été nommés commissaires, et c’est à vous, Messieurs, que j’ai l’honneur de soumettre un rapport définitif ; je vous remets à l’appui les divers numéros dans lesquels sont insérés les documents qui y sont relatifs**.
Le concours était expiré le 15 octobre ; devait-on, après ce délai, refuser les retardataires ? Dans l’intérêt de la science, le gérant n’a pas cru devoir le faire, et je ne pense pas qu’on puisse lui en faire un reproche, par l’inscription à fur et mesure de réception, les droits des concurrents ont été conservés ; c’est là, il me semble, tout ce qu’ils peuvent raisonnablement prétendre. Je ne crois pas avoir besoin de développer davantage ma pensée.
Beaucoup de concurrents nouveaux se sont présentés, en voici le tableau dressé de manière à faire suite au précédent.
Depuis cette époque, 4 janvier, aucun concurrent ne s’est présenté. Pour entretenir l’émulation, le gérant a fait insérer dans le journal plusieurs avis et les lettres de quelques-uns de ceux qui ont bien voulu répondre à l’appel fait par l’Echo. Les lettres de ces messieurs passeront sous vos yeux ; vous aurez à les apprécier, et à prendre une détermination qui est attendue avec impatience. Je vous proposerai néanmoins de convoquer auparavant les concurrents à l’effet de donner leurs dernières observations en faveur des mots qu’ils proposent. J’attendrai jusque-là pour vous soumettre les observations que je croirai utiles pour parvenir à la solution de la question délicate actuellement soulevée dans l’intérêt moral de la classe laborieuse qui a tant à faire pour arriver à son émancipation complète.
Nota. Ensuite de ce rapport, MM. les concurrents ont été convoqués pour le 14 janvier. Nous rendrons compte de cette séance et de la décision dans un prochain numéro. »Il n’y aura pas d’autre article. Le temps écoulé entre la date de la lecture du rapport et la publication de l’article est assez pour que l’on puisse se poser des questions sur l’intérêt réel du concours pour la rédaction. Il est vrai que l’Echo va devoir faire face à son premier procès et il est possible qu’existent déjà les tensions entre Marius Chastaing, partisan d’une politisation du journal et de son élargissement à l’ensemble des prolétaires, et les journalistes « mutuellistes ». Tensions qui conduiront à un changement à la tête de l’Echo en août 1833. Chastaing créera l’Echo des Travailleurs. Toujours est-il que l’on peut constater que le mot de canut a triomphé de tous les autres mots proposés. Dans l’Echo de la Fabrique on trouve des poèmes, des nouvelles faisant directement référence aux canuts, certains lecteurs n’hésitent pas à signer « un canut » et même « un canut républicain ». Ce n’est pas la majorité. On signe souvent les lettres d’un : « mutuelliste », « compagnon ferrandinier », « chef d’atelier », « industriel », « un prolétaire » « fabricant ». Bref, le mot de canut n’est pas omniprésent mais il est présent. L’anecdote qu’a conté Georges Mattelon et qui a été repris largement reprise, anecdote au cours de laquelle il se rabrouer par les anciens pour avoir dit « bonjour, les canuts ! » peut s’expliquer. Nous sommes loin de l’époque de l’Echo de la Fabrique. Nous sommes au XXème siècle. Les tisseurs sur soie sont peu nombreux par rapport aux années 1830, les analyses marxistes, socialistes, anarchistes des événements ont été faites, la chanson de Bruant est devenue symbolique. L’état d’esprit des tisseurs sur soie a changé et ceux qui oeuvrent encore à la manière des maîtres du XVIIIème et XIXème siècle ne tiennent certainement pas à être assimilés à ces canuts qui à ce moment là, deviennent un symbole de la révolte contre le système capitaliste et fêtés par les révolutionnaires et ouvriers du monde entier. Eloignant l’image symbolique du tisseur en lutte, dénommé canut, ils préfèrent celui de maître tisseur, ils préfèrent l’héritage du savoir-faire d’excellence. Georges Mattelon comme l’ensemble de la majorité des Lyonnais préfèrera venter l’extraordinaire dextérité des tisseurs sur soie que d’évoquer leur rôle dans l’histoire ouvrière. Il ne s’agit pas de lui reprocher, c’est un simple constat. Lyon est d’ailleurs sur les mêmes positions. Les rues qui évoquent la soie, décision d’Edouard Herriot, ne rendent hommage qu’aux dessinateurs et mécaniciens, aucune trace, excepté les plaques évoquant, sans trop de souci de vérité historique, les révoltes de 1831, 1834 et les Voraces. Paradoxalement le chant des canuts est lui est honoré par la sculpture de Georges Salendre qui porte son nom. Le nom d’un boulevard dans le 4ème arrondissement de Lyon est l’exemple type du « malaise » des décideurs. Sur une plaque cette mention : « boulevard des canuts 1831-1834. Soit il est dédié aux tisseurs et les dates sont évidemment fausses, soit il évoque les révoltes et…. il faut le spécifier.
*L'Echo de la Fabrique est le journal des canuts créé en octobre 1831.
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