vendredi 28 décembre 2007

La révolte de 1834 : 1er chapitre

Prélude de l’insurrection : les journées de février


Résumé de cette période en prenant comme référence des extraits de « Histoire des insurrections de Lyon en 1831 et 1834 » (1834) de J-B Monfalcon, historien, créateur du journal favorable à Louis-Philippe « Le Courrier de Lyon ». Quand c’est possible je joins les positions des rédacteurs de L’Echo de la Fabrique.

J-B Monfalcon :

« Il est un fait qu’il faut poser d’abord pour bien comprendre les événements : la question des salaires n’est plus rien depuis longtemps dans les déplorables désordres de notre cité. Ce que l’ouvrier demande, ce n’est pas une augmentation de deux ou trois sous par aune de peluche, de taffetas ou de velours. (…) Ce qu’il appelle de tous ses vœux, le but de la coalition des ferrandiniers et des mutuellismes, ce n’est pas seulement la conquête d’un tarif, c’est autre chose : il veut une part dans le bénéfices des fabricants, il exige une représentation plus large dans les jouissances de la vie sociale, il s’indigne de l’obligation du travail et de l’économie, et dit aux riches, comme Figaro aux grands seigneurs de son temps : « Qu’avez-vous fait pour devenir ce que vous êtes ? Vous vous êtes donné la peine de naître ! » Ce n’est pas leur intelligence qu’il faut accuser de cette fatale situation : elle a beaucoup grandi depuis la révolution de Juillet et les journées de novembre ; c’est l’aberration déplorable d’esprit à laquelle ils se sont laissés conduire… »

Dans le numéro 58 du 9 février 1834 on lit dans l’Echo de la Fabrique :

« Si maintenant on porte plus haut ses regards, on voit la grande famille des travailleurs sortir de l’état d’ilotisme où l’avait enchaînée de barbares préjugés et l’avidité criminelle de quelques-uns, et mettre un terme à la honteuse exploitation de l’homme par l’homme ; on la voit traiter d’égal à égal avec les capitalistes, forcer enfin le législateur à écrire dans ses codes une égalité réelle, à conférer aux travailleurs les droits politiques si injustement et si absurdement réservés jusque-là aux seuls oisifs, et arriver ainsi au gouvernement du peuple par le peuple. Mais ce peuple sera-t-il encore déclaré incapable de se régir, et devra-t-il être, comme ignorant, repoussé de toute participation aux affaires générales ? L’association répondrait alors victorieusement par des faits. Cinq mille chefs d’atelier sont unis en dépit des persécutions inquisitoriales de la police et des poursuites du parquet ; leur nombre grandit chaque jour ; ils ont leurs lois fidèlement observées, leurs chefs strictement obéis : toutes leurs mesures sont appuyées sur l’équité et prises dans l’intérêt général ; tout enfin marche avec une admirable harmonie. Dans les réunions hebdomadaires, réunions éminemment utiles, on parle des affaires de tous, des affaires de chacun ; on expose ses espérances, ses idées d’avenir ; on discute les moyens les plus propres, les plus prompts à amener l’amélioration du sort commun ; on s’instruit, on apprend à se connaître, on se moralise, et l’on avance ainsi à grands pas vers l’émancipation de tous les travailleurs. Les autres professions l’ont bien compris ; aussi, chaque jour de nouvelles demandes d’affiliation sont faites ; les Mutuellistes les accueillent avec joie ; ils oublient les injures qu’on jetait naguère à leur industrie ; ils oublient aussi que leur énergie dans le danger, leur constance, leur fermeté dans les luttes diverses engagées contre eux, les ont élevés au premier rang ; ils accueillent tous leurs frères dans une parfaite égalité. »

Le mercredi 12 février :
La société des Mutuellistes est convoquée en assemblée générale extraordinaire pour délibérer sur la question de l’interdiction générale des métiers. La séance dure toute la journée.
2 341 chefs d’ateliers présents.
1297 voix pour la cessation en masse du travail
1044 contre.
A 22 h 30 la commission exécutive décrète la suspension du travail dans tous les ateliers à partir du vendredi 14 février.
Prétexte : diminution de 25 centimes sur le prix de fabrication de l’aune de peluche.

Le vendredi 14 février :
20 000 métiers cessent de battre à 14 h
A l’occasion d’un enterrement les canuts font une démonstration de force. De 1000 à 1200 tisseurs compose le cortège qui se rend en traversant la ville au cimetière de Loyasse. Ils marchent par quatre. Deux ferrandiniers d’un côté, 2 mutuellistes de l’autre. Beaucoup portent les insignes du compagnonnage dont le port est interdit par une ordonnance. Les injonctions du commissaire de police n’y font rien.

Le vendredi 21 février :
Les négociations échouent. Les fabricants repoussent l’idée d’une mercuriale proposée par les délégués ouvriers et ne cèdent pas. « D’une concession de 25 centimes à l’inexécutable tarif, il n’y a qu’un pas ». Un grand nombre d’ouvriers commencent à travailler mais le plateau de la Croix-Rousse, véritable quartier général de la population ouvrière, a persisté dans son inaction. Des rixes, accompagnés de voie de fait, ont lieu sur la place de la Croix-Rousse. Des arrestations ont été opérées.

Le samedi 22 février :
La reprise du travail est à peu près générale. J-B Monfalcon note de nombreuses dissensions entre associations d’ouvriers.

Le dimanche 23 février :
Sans transaction avec les fabricants et sans concession aux ouvriers en peluche, tous les métiers ont recommencé à battre. Six mutuellistes sont arrêtés comme chefs de la coalition. Vingt chefs d’ateliers se déclarent solidaires en écrivant au procureur du roi.
Commentaires de J-B Monfalcon : « La loi sur les associations avait été votée, son application à la Société des Mutualistes était inévitable ; elle devait frapper la coalition au cœur. Nulle part ce désordre moral qu’avait signalé le « Journal des Débats » n’existait à un aussi haut degré qu’à Lyon : On y voyait un Etat dans l’Etat et un pouvoir illégal assez hardi pour se mettre en rébellion ouverte contre la loi et défier le pouvoir national. »

L’Echo de la Fabrique écrit lui :« Depuis deux mois environ, et dans presque tous les genres de notre fabrication lyonnaise, se faisait sentir une tendance marquée à la diminution du taux des salaires. – Alors se retracèrent au souvenir des travailleurs, formant aujourd’hui l’association des Mutuellistes, NOVEMBRE et toute sa hideur, et les angoisses du peuple épuisé de misère, réduit à demander, sous le feu des canons vomissant la mitraille, du pain pour vivre en travaillant ! – Ces jours de mort et de deuil, si près de nous encore, pouvaient se renouveler et appeler sur notre cité une tempête plus terrible et plus désastreuse ; et aujourd’hui comme alors, aucune garantie contre une si déplorable alternative n’était là pour la détourner !!! – Telles furent les graves considérations qui déterminèrent les Mutuellistes à frapper les métiers d’un interdit général, et ce fut dans la journée du 14 que cette décision fut unanimement exécutée. Ils avaient aussi (pourquoi le tairions-nous) pensé que cette interdiction générale amènerait un grand nombre de fabricants desquels ils n’avaient aucune plainte à faire, à intervenir comme conciliateurs entre eux et cette autre partie des fabricants qui, forts d’une quasi-disette de travail, ne rougissaient pas d’en profiter pour rendre plus critique encore la situation fâcheuse de l’ouvrier, mais que ces derniers feraient droit à leurs sages représentations. – Qu’aujourd’hui cette prévision n’ait pas été justifiée par le fait, nul parmi nous ne prétend l’imputer à crime à personne d’entre eux, bien qu’en vingt autres circonstances leur propre intérêt leur eût impérieusement commandé ce qu’exigeait le notre dans ce cas. »

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