Ancien le jeu de boules ? Plus qu’on le croit ! Justin Godart, dans son « Anthologie du Jeu de Boules » parue aux Editions du Cuvier en 1938, ne craint pas d’affirmer que les premiers témoignages de son existence remonte au XIème siècle avant Jésus-Christ. A cette époque, un jeune grec constatant que dans les exercices pratiqués, on courrait, on sautait, on lançait mais on ne faisait rien rouler, ce fit proposer un jour par Ephénéon, un mathématicien « de fabriquer une sphère plus petite que les pierres rondes qu’on lancerait et qui serait le but à atteindre ». Et puis on pourrait tracer des lignes, établir des règles. La sphérique, ancêtre du jeu de boules était née. C’est l’enthousiasme du côté de la faculté et l’illustre Gallien, médecin grec déclare : « La sphérique permet de reposer les membres fatigués et d’exercer ceux qui sont engourdis ». Les romains vont suivre. Pour preuve, on peut voir sur un sarcophage à Florence une scène représentant la vie du défunt qui n’est pas sans rappeler les gestes de nos boulistes.
Le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXème au XVème de Frédéric Godefroy montre l’importance du jeu de boule à cette époque à travers les mots collectés et les exemples. Ainsi : « Quant on veut bouler et jouer à la longue boule, avant que la jetter on fait cinq ou six pas… ». Mais cet engouement n’est pas du goût de tout le monde et bientôt le pouvoir va sévir. Les rois estiment que ce jeu des plus pacifiques détourne les sujets d’exercices plus profitables à la défense du royaume, comme le tir à l’arc et à l’arbalète. En l’an 1369, Charles V publie un édit dans lequel il interdit outre les jeux de dés, de tables, de palmes, de quilles, de palet, de billes… et les jeux de boules !
L’Eglise au XVIIème siècle n’est pas en reste. Il faut croire que les moines et autres religieux ne craignaient point d’en « rouler une » au détriment des tâches plus sacrées puisque le Synode de Paris en 1697, défend aux ecclésiastiques « la boule en lieu publics et à la vue des séculiers. » Beaucoup de témoignages affirment que certes, le clergé obéira et ne s’exhibera plus sur la place ombragée du village, mais pratiquera ce jeu sur les belles galeries des cloîtres et dans les régions froides, n’hésitera pas à aménager des greniers, comme au couvent de Noirmoutier.
Toujours dans cette évocation des démêlées du jeu de boules avec les pouvoirs, il est difficile de ne pas citer cette affiche d’Esquiros, préfet de Marseille, en date du 22 octobre 1870 :
Avis aux Campagne
On m’assure que, dans certaines communes rurales, quelques gardes nationaux apportent une extrême négligence à l’accomplissement de leurs devoirs patriotiques.
J’autorise les maires à déclarer mauvais citoyens tous ceux qui, à l’heure des exercices militaires, se livreraient à des jeux ou à des récréations intempestives.
Trêve aux amusements et aux exercices d’adresse, quand la France est sous les armes.
Laissons dormir les boules quand les boulets déchirent le sol sacré de la patrie. »
Le jeu de boules source de polémiques ? Sans aucun doute. Si les pouvoirs s’en méfient, certains écrivains craignent le pire en l’interdisant. Ainsi Noré Brunel dresse un tableau apocalyptique en cas d’interdiction : « Demandez-vous ce qu’il adviendrait si le jeu de boules était aboli ? Demandez-vous ce que feraient tous ces ouvriers, tous ces commerçants, tous ces petits bourgeois, si le jeu de boules n’existait pas ?.... Les trois quarts de ces joueurs en seraient réduits à passer leurs loisirs dans les cafés, à jouer à la belote dans une atmosphère enfumée et alcoolisée. Cent mille Lyonnais discuteraient politique autour de tables chargées de bouteilles, et je vous assure bien que ces débats de bistrot n’arrangeraient pas les choses. » Et notre écrivain lyrique de conclure : « Nos mœurs seraient moins belles si le jeu de boules n’existait pas. »
D’autres auteurs ont défendu la boule dans leurs écrits et souvent avec talent. Ainsi par exemple le texte de Bernard Durand qui dresse un portrait saisissant du joueur : « Le joueur doit avoir de 45 à 50 ans ; c’est pour lui la belle saison de la vie, l’âge de la perfection : il a conservé la force qui exécute, il a acquis l’expérience qui dirige. » Et à propos de l’attitude du bouliste qui vient de lancer la boule : « Il la couve, il la protège du regard, il la conseille, il voudrait la voir obéissante à sa voix ; il en hâte ou bien il en ralentit la marche selon qu’une ravine ou un monticule l’arrête au passage, ou la précipite à une descente ; il l’encourage du geste, il la pousse de l’épaule, il la tempère de la main ; suspendu sur la pointe du pied, le bras tendu, le visage animé par une foule d’émotions diverses, il imprime à son corps les ondulations les plus bizarres. On dirait que son âme a passé dans sa boule. »
Evidemment Justin Godart lui-même, n’oublions pas qu’il fut ministre de la santé, trouve de grandes vertus au jeu de boules. « Les joueurs » constate-t-il « vont passer des heures à aller et venir, à se courber, à lancer leurs boules avec des gestes harmonieux nécessitant l’effort de tous les muscles, soit pour jeter le poids, soit pour maintenir l’équilibre du buste. » Essentiel à la santé mais aussi au tissu social, à l’apprentissage de la vie en collectivité : « La quadrette est solidaire : la maladresse de l’un retarde la victoire de tous : chaque coup est étudié en fonction de l’ensemble des possibilités de l’équipe ». L’ancien ministre conclut : « Ce n’est pas un des moindres avantages du sport-boules que cette éducation de l’équipe, que cette subordination volontaire de l’individu au groupe, que ce combat où le succès est collectif. »
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