dimanche 6 janvier 2008

Evocation du quartier de Serin

Evocation du quartier de Serin

Je vais vous faire quelques confidences. En venant ce soir à pied j’ai eu tout le loisir de réfléchir sur ce que j’allais bien pouvoir vous barjafler entre deux sommités de l’histoire de Lyon, un historien et un conteur de rue télévisuel et moustachu qui n’a pas sa pareille pour vous faire aimer Lyon. En même temps que je réfléchissais, me venaient quelques images fortes de mes souvenirs d’enfant. C’est pourquoi, comme il y a près de 60 ans, je suis parti de la rue Henry Gorjus, j’habitais au 31 bis en 1943 et je suis aujourd’hui au 34, avec la ferme intention d’emprunter la rue Hénon, de passer devant le lycée Saint-Exupéry qui a remplacé les jardins ouvriers de l’époque. Entre nous, il est fort possible qu’à l’intérieur de cet établissement quelques professeurs et lycéens écologiques ou simplement de bon sens, militent ou écrivent de savantes dissertations sur l’importance essentielle à mettre à la disposition des habitants et de leurs enfants, des espaces où ils puissent découvrir l’intérêt du travail de jardinier sans lequel il n’y a point de bons philosophes, ni de bonnes salades. Donc je m’engage pour emprunter une rue champêtre, la rue Niepce qui a pour moi l’odeur inoubliable… du biscuit…et du poisson !

J’explique. Tout commençait la veille. Mon père, dans notre appartement de 35 m² préparait sur le réchaud une mixture qui d’après lui, allait attirer le poisson immanquablement. Je suis désolé, je ne me souviens plus de la recette, sachez seulement que l’aspect n’était pas terrible et que les poissons qui ont daigné se laisser tenter par ce menu devaient être les plus pauvres de la Saône si j’en juge par leur minceur. Ils n’avaient que les écailles sur les arrêtes. Par la force des choses, il existe une solidarité entre pauvres et c’est pourquoi, je me souviens très bien de mon premier captif à qui j’offrais en arrivant à la maison une demeure en forme de bocal. C’était un poisson chat. Ma mère n’a rien dit alors qu’un pensionnaire de plus, ça pouvait poser des problèmes. C’était une brave femme… Nous partions au lever du jour par la rue Niepce et c’est là, en arrivant tout près du lieu de nos exploits de pêcheurs que l’usine de biscuits Vignal permettait à mon odorat d’inscrire à jamais dans mes souvenirs, l’odeur qu’elle dégageait. A la fin des années 40, début des années 50, Serin était pour moi la Saône et l’odeur de biscuit.

La Saône… peut-être qu’à l’emplacement du gone en culotte courte fixant son bouchon en espérant qu’il s’enfonce résolument, se tenait le 15 juillet 1783, un gone ébahi puis enthousiaste à la vue du premier bateau à vapeur, bateau à roue, en train de remonter la rivière jusqu’à l’île Barbe. Celui de Claude Jouffroy d’Abbans. Plus tard, est-ce peut-être un de ses descendants qui regardait avec tristesse, à la même place, les péniches ambulances accueillant les blessés de la guerre de 14-18 ?
La Saône… c’est aussi un soir, je serrais fort la main de mon père en empruntant de nouveau la rue Niepce mais cette fois, pas pour la pêche… nous n’aurions pas pu… non… mais pour voir d’énormes glaçons dériver au fil d’une Saône gelée (comme en 1608…en 1829) et raser le parapet en menaçant de recouvrir le quai… Un quai pavé avec de chaque côté de la chaussée, des rails. Si l’ancienne « Guillotine » avait disparu, ce tram était paraît-il des plus dangereux, il y avait encore le train bleu ! Si ses rails furent un jour pour moi, la cause d’une pelle monumentale dont mes coudes se souviennent encore, un jour de vélo (mais quelle idée de vouloir faire le grand gognand en essayent de rouler dans le rail !) ce même chemin ferré devait me permettre de commencer mon apprentissage de nageur à l’île Roi. J’avais la sensation en prenant la barque du passeur, de traverser l’atlantique. On ne parlait pas de pollution… du moins n’était-elle pas là mais en aval, justement à Serin. L’usine Gillet implantée depuis 1853, teintait les flottes de soie en noir. C’était sa spécialité depuis 1880. Plus tard la famille Gillet sera la fondatrice de Rhône-Poulenc. C’est une preuve supplémentaire qui démontre que l’industrie chimique est étroitement liée à l’histoire de la soie à Lyon. Je vous fais une confidence : il m’est arrivé très souvent de rencontrer sur le plateau et les pentes de bons gones se réclamant avec fierté d’être les héritiers des canuts. Certains étaient tellement convaincants que j’ai eu parfois l’impression qu’ils avaient tenu le 21 novembre 1831 le drapeau noir portant la devise : « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant ! » Mais quand je leur faisais part de cette filiation avec la chimie, ils me semblais tout à coup moins certains de revendiquer l’héritage… Et pourtant… Concernant l’usine Gillet il nous reste aujourd’hui un tronçon de voie ferrée devant l’école publique où sont installés les élèves de la SEPR. On pourrait peut-être le conserver. Les Gillet construiront leur villa en 1912, juste au-dessus.

Joseph Gillet savait-il que parmi ses ouvriers, il y avait le père d’Albert Richard ? Il n’a pas de quai, de rue, ni même d’impasse à son nom le gone de Monsieur Richard. Seul les anarchistes qui ont le culte de cette période où nombre d’entre eux s’illustrèrent souvent de façon violente, sans souviennent. Il habitait au 28 du quai de Serin à l’époque. Il créa avec Bakounine, l’Alliance Internationale de la Démocratie Socialiste à Berne pendant le Congrès du 21 au 25 septembre 1868. Il sera, toujours avec Bakounine, le signataire d’une proclamation appelant les Lyonnais à l’insurrection le 26 septembre 1870 « Lyon, deuxième ville de France est la plus portée à pouvoir conduire avec énergie la défense du pays » et les enjoignant de se réunir à l’Hôtel de Ville.

J’en étais là en feuilletant mon album d’images quand brusquement, je me souvins que depuis un dramatique fait divers qui a coûté la vie à une jeune lycéenne, je ne peux plus descendre la rue Niepce. Elle est fermée. Direction le sud pour prendre les Esses ou, si on s’en réfère aux anciens, le chemin de Serin à la Croix-Rousse. Certes ça rallonge, mais en même temps je me suis dit que j’en aurai des choses à vous raconter sur ce fameux chemin ! J’ai donc effectué ce parcours symbole de la mixité urbaine. Une partie demandant une concentration de tous les instants pour ne pas être aspiré par les engins roulants, tous engagés dans une course de côte. Et que vaut ma maigre silhouette au regard de l’automobiliste très inquiet de rater le journal télévisé de 20 h ? Pas grand-chose. Heureusement il y a bien quelques automobilistes respectueux de la vie qui vous permettent de traverser la chaussée. Faut jamais désespérer de l’humanité. L’autre partie, la piétonne, celle qui permet de fouler de vos pieds les feuilles mortes pas encore ramassées à la pelle, demande une attention toute aussi soutenue. En effet, une section du sentier est curieusement munie de barres cimentées étroites posées perpendiculairement, certainement un souvenir lointain de marches d’escaliers, qui transforment votre voûte plantaire en marmelade. Un genre de chemin de croix. Pour rester dans le domaine biblique je ne peux jeter la première pierre à la municipalité d’aujourd’hui, ni même à celle d’hier. En vérité je vous le dis, ce chemin de Serin à la Croix-Rousse a toujours été un problème. Jugez par vous-même :

Le dimanche 24 février 1788, à l’issue des vêpres, la communauté de Cuire-la-Croix-Rousse, qui comprenait 711 feux ou familles, procéda à l’élection de sa première municipalité, en exécution de l’édit de 1787. Elle fut formée de MM. Neyrat, Burel, Pinet, Rousset, Delorme, Bruny, Barraud, Claude Edme de la Poix de Fréminville, Boucharlat, Charton, et comme membre de droit Claude Boulard de Gatellier, seigneur du lieu depuis 1766. Parmi les questions soumises aux délibérations, celle-ci : « Le chemin qui communique de la barrière de Serin à la Croix-Rousse est impraticable, bien que d’une incontestable utilité pour les habitants auxquels il permettrait avec plus de facilité et moins de frais, le transport de leurs comestibles, provisions et matériaux. Il convenait donc de réclamer auprès de l’Assemblée provincial la réparation de ce chemin. »
Fin 1789, le peuple a pris la Bastille, les privilèges abolis, Boulard de Gatellier n’a plus rien. La municipalité se réunit une dernière fois avant de laisser sa place à de nouveaux administrateurs. Dans une déclaration solennelle elle écrit : « La Municipalité n’ayant pu réaliser tout le bien qu’elle aurait désiré procurer à sa communauté, vu les circonstances difficiles où elle s’est trouvée pendant le cours de son administration, a arrêté de consigner… une invitation est faite à la future municipalité de suivre les objets qu’elle a déjà mis au jour et de donner naissance à ceux d’une utilité indispensable, savoir : la restitution au profit de la communauté de terrains appelés demi-lunes ; la suppression des aides et octrois ; la liberté des portes de la ville à toute heure, l’ouverture d’un chemin à voitures communiquant de Serin à la Croix-Rousse etc… »
Le 22 septembre 1790 pour être précis, il est remis à l’administration du district, un rapport sur la situation générale de la commune. Au chapitre évoquant les corvées, il est bien entendu question du chemin de la Boucle, de Cuire et de … Serin.
D’ailleurs le commissaire de police municipal de la Croix-Rousse se plaint également des voies de communication. C’est que Burigniot, c’est son nom, est obligé de se rendre à Serin très souvent pour coller des affiches. Ce n’est pas rien. Sur l’ensemble de la commune, en 11 mois, 3 700 affiches soit, j’ai fais le calcul, plus de 10 affiches par jour par des chemins impossible ! Et ce, pour 6 livres par mois…
Bref, les fenottes et les gones de Serin se sentent abandonnés. Se sentent exclus du plateau. En plus, comme c’est souvent le cas, (à cette époque je précise !) la ville de Lyon prend des décisions sans consulter les habitants de la rive gauche de la Saône. Tenez en 1791 : La municipalité de la Croix-Rousse proteste contre un projet qui ne manquera pas de vous intéresser. On envisage en effet la construction d’un pont sur la Saône, en face de la Pyramide de Vaise, cet obélisque élevé en 1783 sur une place nouvellement crée et que l’on appellera en 1827 place de la Pyramide et en 1944 place Valmy. Ce pont doit aboutir vis-à-vis de la propriété du sieur Déchamp. Pourquoi refusent-ils cette construction ? La rivière, constatent-ils, fait un coude à cet endroit, les bateaux risqueraient d’être jetés contre les arches en cas de grosses eaux. Les intérêts généraux en souffriraient en raison des frais énormes qu’entraînerait l’érection d’un pont qui aurait neuf arches au moins, si on l’établissait sur cette partie très large de la Saône, sans compter la dépense considérable qu’exigerait la construction de fortes culées, et le prolongement du quai jusqu’à la ville. Enfin les intérêts du quartier de Serin seraient lésés en ce que les propriétés de son territoire perdraient de leur valeur par suite de l’éloignement du pont.
La municipalité demande que le nouveau pont soit rapproché du quartier de Serin et placé en regard de la fonderie du côté de Vaise et vis-à-vis du clos du sieur Constant sur le bord opposé. Cet emplacement n’exigera que 3 arches, les 2 culées et une des piles seraient fondées sur le roc, d’où une grosse économie de main-d’œuvre et pleine sécurité pour la navigation.
Vous avez noté qu’à l’époque, on est très sourcilleux sur la valeur des propriétés. Aujourd’hui, on trouve tout a fait justifié la suppression des octrois, ces taxes sur les marchandises qui entre nous ont fait le bonheur de la Croix-Rousse, puisque la vie y était moins chère, notamment en ce qui concerne le vin !
Voilà ce qu’ont peut lire à propos des octrois supprimés : « Les maisons de Serins ont subi une grave dépréciation depuis que les voitures publiques ont cessé de s’arrêter à son port. Cette situation a privé les habitants de cette partie de la commune de leurs moyens de subsistance et en a déterminé un grand nombre à se fixer à Lyon. Les contributions de la commune ont ainsi augmenté en raison de la diminution de ses revenus fonciers. »

Ceci étant dit, de gré ou de force les habitants de Serin acceptent de ce conformer aux mœurs de la période révolutionnaire. En 1794 la fête de l’Etre Suprême fut célébrée à la Croix-Rousse. Le quartier Serin ne fut pas oublié dans ces festivités organisées par la municipalité Croix-Roussienne. Une organisation qui prévoit tout, dans les moindres détails : « Les habitants orneront leurs fenêtres de banderoles tricolores et de festons de verdure (déjà l’écologie) ; les pères et les mères amèneront leurs enfants arrangés aussi proprement qu’il leur sera possible (pas question que les parents démissionnent !) ; les vétérans en tenue y assisteront. Une charrue et ses bœufs, avec tous les ustensiles analogues à l’agriculture et aux arts, ainsi qu’un bateau, orneront le cortège. Un amphithéâtre sera dressé dans le quartier de Serin… (On se croirait en mairie à la réunion préparatoire des fêtes du 8 décembre).
On a également planté un arbre de la Liberté sur la place de Serin. Faut croire que le personnel des espaces verts de l’époque l’a quelque peu oublié puisqu’en 1797 on constate qu’il pourri à sa base, menaçant de tomber. Prévenue du fait par un rapport du commissaire de police, la municipalité demande immédiatement à l’administration centrale du département son approbation, soit qu’elle fasse couper l’arbre pour éviter tout accident, soit qu’elle juge possible de le consolider.

Ce sentiment d’être enclavé, d’être un quartier à l’écart, d’être Croix-Roussiens sans l’être tout à fait explique, du moins en partie, la position des habitants de Serin en 1832. Vous le savez, les 21, 22 et 23 novembre 1831, c’est la révolte des Canuts. S’il y a des tonneliers, des marchands de vin, des mariniers, des verriers, il n’y a Serin qu’un seul métier à tisser. C’est dire que ces événements ne se sont pas déroulés sur cette partie de la colline. Seulement, Serin c’est la Croix-Rousse. Mais une partie de la population n’a aucune envie d’assumer l’image qui sera dorénavant accolée à la colline des Canuts.
En janvier 1832, 52 habitants de Serin représentants la majorité des propriétaires et gens aisés de ce quartier adressent une pétition au ministre du Commerce et des Travaux Publics. Ils dénoncent « la différence de goûts, des habitudes, des mœurs, le défaut de sympathie existant entre eux et les habitants du plateau. Les événements déplorables de 1831 qui ont si tristement signalé la Croix-Rousse et auxquels Serin ne prit aucune part, élèvent entre eux une barrière insurmontable ». En lisant cette déclaration, les élus de la Croix-Rousse vont dire : « Bon, ils veulent leur indépendance ? Qu’ils la prennent ! » Et en juin 1832, la municipalité du faubourg se prononce pour la séparation. Une ordonnance royale du 26 octobre 1832 érige Serin et Saint-Clair en commune indépendantes.
Une bonne affaire pour Lyon qui divise ainsi sa rivale, La Croix-Rousse, et surtout lui permet de régner sur les rives des cours d’eau.
Pendant que la municipalité de Lyon discute pour savoir s’il faut en profiter pour rattacher le plateau à la ville, celle de la Croix-Rousse se ravise. Elle fait traîner la délimitation des contours des trois faubourgs. Elle envoie une supplique au roi pour qu’il surseoit à l’exécution de l’ordonnance de séparation et décide d’un référendum pour recueillir l’avis de la population. En 9 heures les pétitions du Plateau obtiennent 1 300 signatures et dans les quartiers dissidents, 400 personnes signent. Toutes souhaitent le maintien intégral de la commune et de son autonomie vis-à-vis de Lyon. En 1834 Serin et Saint Claire sont de nouveau réunies à la commune de la Croix-Rousse. L’insurrection du 9 au 12 avril 1834 freinera la volonté expansionniste de Lyon.
Cet épisode de tension entre le plateau et le quartier de Serin va permettre une prise de conscience des élus Croix-Roussiens :
La municipalité croix-roussienne admet que les habitants de cette partie de la commune n’ont pas tous les torts. C’est vrai, le plateau est favorisé. Les communications sont mauvaises. Les chemins sont étroits. Trop raides. Ils dénoncent l’éloignement de l’administration municipale. L’absence d’église, d’école, de pompes à incendie. Le Conseil municipal décide d’agir : Réalisation de la montée de Serin, reconnue d’utilité publique. Oui mais… il va s’en mordre les doigts. Les expropriations sont trop onéreuses et obligent la municipalité à s’endetter fortement. Elle ne pourra pas, par exemple, entreprendre la fourniture d’eau. En 1844 la montée en Esses est réalisée ainsi qu’une place et une église aujourd’hui disparues.
Il apparaît que l’on n’ait pas suivi les conseils de Jean François Bunel, un ancien officier de l’Empire venu s’installer à la Croix-Rousse. Cet ancien soldat ne portait guère l’Angleterre dans son cœur (il a du se retourner dans sa tombe quand Edouard Herriot honora Birmingham en attribuant le nom de cette ville dont le maire était son ami, à une avenue en 1955.). Anglophobe il trouva le moyen de terminer son livre sur la Croix-Rousse par ce vibrant appel : « Puisse la ville de la Croix-Rousse prospérer toujours ; la beauté de ses produits répandre sa gloire dans le monde entier ; Lyon, sa mère, en être fière et l’Angleterre jalouse ! » Fin de citation. Dans ce livre écrit en 1842, il dresse le tableau « historique, administratif et industriel de la ville ». C’est ainsi que l’on peut savoir que dans le quartier Serin « il y a une école primaire pour les jeunes garçons et une autre pour les jeunes filles dirigées par les Frères de la Doctrine et par les Sœurs de saint Charles. » On apprend qu’en 1687 les habitants de Serin se qualifiaient « d’habitants du Bourg de la Croix-Rousse ». Il croit voir là, le fait que le plateau dépendait de Serin et non le contraire comme aujourd’hui. Mais le Jean-François Bunel fait quelques propositions concernant le chemin de Serin : Il songe à la construction d’un hospice « qui serait admirablement situé sur le penchant occidental du plateau et sur une des portion des terrains acquis par la ville pour la confection du chemin de Serin au plateau et qui en borderont les rampes. »

Je n’avais pas la prétention d’évoquer de façon exhaustive l’histoire de ce quartier Serin et je sais parmi vous beaucoup de fenottes et de gones qui pourraient enrichir ma petite connaissance et la plupart du temps avec un vrai vécu. Je souhaite qu’on leur offre la possibilité de confier leurs souvenirs d’une manière ou d’une autre. Je terminerai simplement en évoquant la tour de la Belle Allemande qui fut hélas détruite. C’est un texte dont je me souviens plus de l’auteur mais qui montre bien la complexité de la vérité historique. C’est pour cela que j’ai voulu mêler quelques souvenirs personnels :
« La rive gauche de la Saône, grâce au manque d’espace entre la balme et l’eau a moins attiré les constructions industrielles. Des bouquets d’arbre y masquent le coteau, dès la sortie de la ville et d’un de ces îlots de verdure émerge la tour de la Belle-Allemande. Saura-t-on jamais le fin mot sur l’origine de ce donjon de physionomie plus bourgeoise que féodale ? Il occupe assurément la place d’un de ces nombreux postes d’observation et de défense que l’administration romaine éleva, au temps des invasions, tout autour de la métropole des Gaules et dont nous retrouverons maintes traces ailleurs. Cette tourelle se serait appelée tour Barbe, du même nom que l’île. Elle aurait été bâtie par les moines de l’abbaye, afin, dit-on, de surveiller le passage des bateau et d’assurer la perception de certains péages. Hypothèses inadmissibles, car ces sortes d’observatoires sont, d’ordinaire, établis au ras de l’eau. De plus, la tour actuelle ne parait pas remonter plus haut que le commencement du XIVème siècle.
Quoi qu’il en soit, il y eut, de bonne heure un fief de la Tour, dit de la Tour de Champt ou des Champs, pour le distinguer de tant d’autres homonymes. Un nommé Balmont rendait hommage pour ce fief à l’archevêque, en douze cents et quelque.
Quand au nom actuel, les uns ont voulu le faire dériver d’Isabelle Alleman, la nièce d’un des prieurs de l’abbaye de l’Ile Barbe. IL y a aussi la « Belle Allemande », femme de Jean Cléberger, le « bon allemand ». D’autre part, M. Félix Desvernay a relevé, dans une nommée de 1515, un Pierre Bryon qui possède une vigne « joignant la Belle Mande ». Le mot fait penser à « mandement », territoire. Mende étant aussi une forme de « manne », panier, le domaine aurait pu prendre son nom d’une enseigne comme le « Panier Fleuri. Enfin, le vieux français à « mandre » pour manoir.
La légende de la châtelaine enfermée par un mari jaloux, domine le tout. Légende, disent quelques puristes. Mais sommes nous bien sûrs que l’histoire soit autre chose qu’une série de légendes reçues par l’opinion et consacrées par le temps ? Il vient un moment où personne ne conteste plus la tradition et l’histoire commence. »
(Conférence donnée à Serin le 28 septembre 2006)

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