jeudi 17 avril 2008

Poésie

En 1834 sort un ouvrage imprimé à Genève intitulé La Voix du Peuple. Un recueil de poésies signé par « Le citoyen D***, Prolétaire ». Il s’agit de T. Depassio, un chansonnier républicain. Or Depassio a séjourné à Lyon où il fut emprisonné quelque temps en 1831. Le livre que nous avons pu consulter comporte une dédicace manuscrite « au citoyen Marius Chastaing » qui fut le rédacteur en chef de l’Echo de la Fabrique. Une preuve supplémentaire sur l’importance des textes poétiques mis en chanson à l’époque. Textes qui étaient lus par les canuts. Ce poème engagé, dirions nous aujourd’hui, contribue pour moi, à montrer que l’on ne peut se contenter en évoquant cette période que de textes relatant la misère des ouvriers de l’époque. Ils sont en train de poser les fondements des organisations de travailleurs et les principes d’une République juste.

Le prolétaire :
L’autre jour un homme de bien
Au salon littéraire
Me dit : « Qu’est-ce donc qu’un vaurien
Qu’on nomme prolétaire ? »
Monsieur, soyez sans effroi,
Lui dis-je, et regardez-moi :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle vaurien.

Ce gueux qui, né sur un grabat,
Souvent meurt à l’hospice ;
Ce gueux qui sans faire d’éclat,
Sans doute par malice,
Avant de voler son pain
Préfère mourir de pain :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Cet effronté qui tour à tour
Sur la terre et sur l’onde ;
Barbare dont l’audace, un jour,
Civilisant le monde,
Fit vaisseaux, palais, salons,
Et n’habita que prison,
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Sa main qui bâtit vos maisons
Et perce les montagnes,
Sait couvrir de riches moissons
Vos fertiles campagnes.
Son bras, toujours agité,
Nourrit la société ;
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Ce brutal, cet écervelé,
Qui rit de la mitraille,
Et qui n’a jamais reculé
Sur le champ de bataille ;
Qui, du sort bravant les coups,
Se fait fusiller pour vous :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Ce soldat qui, dans son chemin,
Vingt fois sauve la France ;
Qui de l’Europe, dans sa main,
Vingt ans tient la balance ;
Que l’on nomme au Panthéon,
Murat et Napoléon :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Enfin celui qui de nos jours
A s’instruire s’applique,
Ce pillard vous disant toujours
Qu’il veut la république,
Entend, par la liberté,
Raison, justice, équité
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

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