lundi 27 juin 2011

Les obsèques du Commandant Arnaud

Le déroulement des obsèques nationales d'Arnaud relaté avec précision par le Petit Journal le 24 décembre 1870

« Dès 10 heures du matin, la foule commençait à envahir la rue Dumont d’Urville et les rues adjacentes, d’Ivry et de Sainte Rose.
La rue Dumont d’Urville est fort large et forme une espèce de place devant le numéro 2 où demeurait M. Arnaud. Le logement de la famille est au fond de la cour, au premier étage ; un garde national en faction se tient à la porte ; tout le monde est admis à visiter la chambre mortuaire.
C’est un grand atelier qui contient trois métier de tissage ; la pièce est claire, belle est très élevée ; à l’entrée est apposée la proclamation adressée par le général Baudesson de Richebourg à la garde nationale, lors de sa nomination au commandement de cette arme ; au milieu, un poêle ; au fond, un petit secrétaire couvert de volumes ; malgré le temps, qui est sombre, la lumière entre large et abondante dans la pièce et joue sur les soie de couleurs brillantes qui sont sur les métiers ; au fond, une porte entr’ouverte laisse voir le logement ; tout respire ici le travail, l’aisance, l’honnêteté.
A droite contre le mur, est placé le cercueil de chêne qui contient les restes du malheureux commandant.
Le cercueil est recouvert d’un simple drap blanc ; on a placé dessus le képi du défunt, une couronne d’immortelles et les insignes de grade qu’il occupait dans la loge des francs-maçons, dits les Lyonnais de la loyauté.
C’est madame Arnaud elle-même qui dépose et arrange ces insignes sur le cercueil de son mari.
On ouvre le cercueil pour placer sur la poitrine du défunt d’autres emblèmes de la franc-maçonnerie. La figure du commandant est martiale encore avec sa barbe noire, malgré la pâleur de la mort répandue sur ses traits ; on voit sur le nez la trace d’un coup de baïonnette.
Au pied du cercueil veille un garde national l’arme au bras ; le public entre et se découvre devant le cercueil ; les amis de la famille viennent serrer la main du frère de M. Arnaud qui les reçoit.
La scène est poignante, plutôt encore que lugubre ; la veuve, les sœurs du défunt sont là ; mais les enfants ne paraissent point.
Ils sont au nombre de trois : l’aîné à seize ans ; le second, un garçon de quatorze ans, est un des meilleurs élèves du lycée de Lyon ; le plus jeune à six ans. M. Arnaud était le cadet de la famille ; il était né le 29 mars 1831.
Cependant la foule au dehors continue à grossir ; elle a encombré tout l’espace devant la maison.
Arrivant successivement un nombre considérable d’officiers de tous rangs, de toutes les armes, troupes, mobiles, gardes nationaux, gendarmerie, pompiers dont les képis chamarrés et les casques tranchent au milieu de la mer de chapeaux, de casquettes et de bonnets de femmes.
Viennent ensuite les compagnons tisseurs de la « Ferrandine », avec de larges rubans de satin blanc.
Un détachement de hussards escortant les officiers supérieurs de la garnison et des officiers supérieurs de mobiles à cheval, se range en bataille devant la maison mortuaire.
La compagnie des gardes nationaux, dont le défunt était autrefois capitaine, les guidons et les tambours couverts d’un crêpe noir, se range également en ligne dans la rue.
En même temps, dans toutes les rues adjacentes, on voit poindre les tête de colonnes des bataillons de la garde nationale sans armes, qui veulent tous assister au cortège et donner un dernier hommage de sympathie au malheureux commandant tombé d’une façon si déplorable puis arrive un détachement de la cavalerie de la garde nationale etc.
Vers midi, le cortège officiel s’avance dans la rue d’Ivry et vient déboucher dans la rue Dumont d’Urville au milieu des cris de : Vive la République ! Vive Gambetta !
En tête du cortège, marche en effet le ministre de l’Intérieur et de la Guerre ; à la droite sont le préfet et le maire ; ils sont suivis de toutes les notabilités civiles, judiciaire et d’un nombre considérable d’officiers
Le cortège qui avance entre deux haies serrées de spectateurs s’arrête devant la maison mortuaire ; bientôt on descend le cercueil mortuaire couvert d’un drap noir et des insignes que nous avons citées plus haut ; il est descendu à bras par les compagnons de tissage. Le cortège se met en marche, précédé par la cavalerie qui se fraie péniblement un passage à travers la foule énorme agglomérée sur tout le parcours.
Le cortège a suivi le rue Dumenge, le boulevard de la Croix-Rousse jusqu’au fort Saint-Jean, le cours des Chartreux, la rue de l’Annonciade, la rue du Jardin des Plantes, la rue Terme, la rue d’Algérie, place des Terreaux, rue Lafond, place de la Comédie, rue Puits –Gaillot, port Saint Clair puis il a remonté à la Croix-Rousse par la grande rue des Feuillants, la place Croix-Pâquet, la montée Saint-Sébastien, et sait rendu au cimetière par le chemin de la Voûte.
Comme on le voit, le cortège expiatoire a suivi dans la première partie de son parcours, la route même sur laquelle les misérables avaient entraîné leur innocente victime ; et tous les assistants, le cœur serré regardaient tristement le lieu du supplice du commandant Arnaud.
Le cortège était composé de la manière suivante :
En tête un peloton de la cavalerie de la garde nationale
Les tambours voilés de deuil et les clairons entourés de crêpe
La compagnie des sapeurs pompiers
Un fort détachement des compagnies de la garde nationale
Le cercueil
Porté par des gardes nationaux qui se relevaient de distance en distance
Les cordons du poêle étaient tenus par des représentants de l’autorité et de la garde nationale qui alternativement rendaient honneur au défunt.
Le cercueil était suivi immédiatement par un très grand nombre d’officiers de la garde nationale
Puis venaient M. Gambetta, le bras ceint d’un crêpe, ayant à ses côtés M. Challemel-Lacour, préfet du Rhône et M. Hénon maire de Lyon
MM les adjoints Chépié, Chaverot, et Condamin
Le conseil municipal et les autorités civiles et judiciaires
M. le général Bressoles, commandant le division de Lyon, suivi d’un nombreux état-major et d’un nombre considérable d’officiers de toutes armes et de tous grades.
Les francs-maçons ayant à leur tête le grand maître.
Une foule énorme de gardes nationaux sans armes qui, sans être officiellement convoqués ont suivi le cortège.
Sur tout le parcours, des gardes nationaux en arme formaient une haie et maintenaient la foule des curieux qui assistaient émus à cette imposante manifestation.
Sur tout le parcours aussi des couronnes d’immortelles ont été déposées sur le cercueil du commandant Arnaud.
Le bataillon que commandait cet honnête citoyen a assisté au défilé, sur la place de la Croix-Rousse, sans arme. Tous les hommes avaient à la boutonnière, un bouquet d’immortelle en signe de deuil.
A quatre heures après-midi, le commandant Arnaud était inhumé dans le terrain concédé à sa famille, par la ville de Lyon, après avoir reçu sur sa tombe les adieux suprêmes de MM Challemel-Lacour, dont le discours a été très remarquable, Chépié au nom de la ville de Lyon et le général Baudesson au nom de la garde nationale.
Nous avons retenu les dernières phrases du discours de M. Chépié qui ont vivement impressionné l’auditoire ;
« Les cœurs sont soulevés, les consciences alarmées devant l’assassinat odieux d’un républicain honnête et convaincu.
Pour que pareil malheur ne se renouvelle pas, il faut que tous les citoyens se pénètrent des principes qui ont inspiré la vie entière de la victime : la liberté dans la justice.
Dès le début de la cérémonie, le drapeau noir av ait été hissé sur la façade de l’Hôtel de Ville et la grande cloche du b effroi à sonné le glas funèbre.
La ville de Lyon était véritablement en deuil d’un de ses enfants les plus dévoués. »

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