Joseph Bard juge Lyon en 1848
Les polémiques sur les transformations de la ville, sur les restaurations plus ou moins réussies ne datent pas d’aujourd’hui. En 1847 Lyon reçoit la visite d’un personnage qui ne manie pas la langue de bois, Joseph Bard (1803-1861). Archéologue, spécialiste dans de nombreux domaines, grand voyageur, auteur de 187 ouvrages, collaborateur de plus de 130 titres de journaux, il est à la fois un homme cultivé et un homme vaniteux, parfois insupportable. Il s’en moque et ne craint pas de heurter la majorité de ses contemporains. Par ailleurs au début de sa carrière il fréquenta à Paris le conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal, Charles Nodier, ce qui lui permettra de rencontrer Victor Hugo et Prosper Mérimée. Ce dernier le fit nommer inspecteur des Monuments Historiques pour les département de l’Ain, du Rhône et de l’Isère. On peut également le considérer comme l’un des fondateurs du tourisme en chemin de fer. C’est dire qu’il est très intéressant de l’accompagner dans sa visite de Lyon car son écriture ne s’embarrasse pas de précautions diplomatiques.
En 1846 on ouvre la rue Centrale qui deviendra en 1943, la rue de Brest. Qu’en pense-t-il un an après. Ce n’est pas à proprement parler l’enthousiasme. « Malgré les rêves d’or qui président au percement de cette voie, et font croire à beaucoup de nos frères qu’elle sera un lit somptueux où le pactole coulera à flot, je suis moi, je l’avoue, un ami froid de la rue Centrale. » Voilà qui est dit. Qu’est-ce qui chagrine notre homme ? D’abord, il aime la rue Mercière et ce percement va lui porter un coup mortel. « Cette vieille rue Mercière, centre de l’ancienne librairie lyonnaise, symbole de la cité lyonnaise, cousue de ces servitudes qui rappelaient les mœurs fraternelle et confiantes du Moyen-Age. » Il voit cette rue Mercière devenir un désert où il ne retrouvera plus « ces vieilles boutiques à l’enseigne faisant image et nos chères traditions du XVIème siècle. » Inconsolable et porté par son désespoir, il n’hésite pas à écrire : « J’ai toujours à Lyon défendu la cause du pauvre et de l’opprimé, et en pleurant le sort de la rue Mercière qui va se trouver déshéritée des avantages sur lesquels sa longue possession lui donnait le droit de compter toujours, je ne sort ni de mes habitudes, ni de mon rôle. N’aurait-on pas pu se borner à redresser la rue Mercière, axe naturel de la ville de Lyon, sans la frapper à mort ? »
Le Palais de Justice, lui aussi reçoit sa visite. Là ce sont les inscriptions qui attisent sa colère. « On a fait dans les légende du Palais de Justice un déplorable emploi de l’U et du J et des caractères monstrueux que le mauvais goût et le charlatanisme parisien ont adoptés pour les enseignes des boutiques. » Avec virulence il s’en prend aux architectes parisiens qui ne veulent point démordre de leurs habitudes. « Ce détestable goût de l’U et du J majuscule, des caractères gras et ignobles, Paris l’a propagé même en typographie. »
Un coup d’œil sur l’église Saint-Georges. S’il félicite l’architecte Bossan, « je n’ai que des éloges à donner à son exécution », il ne peut s’empêcher de glisser : « M. Bosson n’eût-il pas été mieux inspiré s’il eût pensé à créer là une belle apside romano-byzantine avec triforium extérieur, et a imiter un de ces imposants clochers coniques, flanqués de quatre cornes tumulaires, dont nous avons en Bourgogne, de si admirables types ? » Reste à savoir ce qu’il aurait dit, si ce brave Bosson avait justement fait « là une belle apside…. »
Ses avis ne s’arrêtent pas à l’architecture. Passant devant l’église Saint-Polycarpe, il remarque une affiche annonçant un concert pour le 25 février à 10 heures. Il l’a lit et bondit tout aussi tôt sur sa plume. « Dans l’église Saint Polycarpe, le 67ème régiment de ligne exécutera une messe en musique. Parmi les morceaux promis, on remarquait : l’ouverture de Lucie (Donizetti) le duo de Guillaume Tell (Rossini) etc… Quelles différences y avait-il entre cette affiche, entre ce style et ceux des théâtres lyriques ? Comment voulez-vous que la prière et le chant du peuple aient pu s’unir à cette musique si effrontément mondaine. » On se plaît à imaginer Joseph Bard, parcourant aujourd’hui les quartiers de Lyon et entrant dans une église !
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