Avril 1833 annonce les futures organisations syndicales
Dans cet extraordinaire laboratoire social qu’est l’Echo de la Fabrique, quelques articles parus en avril 1833 retiennent l’attention. Ils annoncent un tournant important dans la prise de conscience ouvrière de la nécessité de dépasser les clivages corporatistes pour aboutir à une solidarité prolétarienne. Cette étape essentielle dans l’histoire des travailleurs est d’autant plus forte, plus symbolique qu’elle est franchie à l’occasion du conflit des ouvriers tailleurs de pierre. Or le compagnonnage qui était le mode d’organisation et de défense des ouvriers est né des tailleurs de pierre. Il y a là une véritable rupture avec les pratiques historiques des travailleurs manuels. Ces quelques textes d’avril 1833 permettant de comprendre ce qui est en train de naître à Lyon.
L’Echo de la Fabrique du 7 avril 1833 réagit vivement quand il apprend que 3 ouvriers tailleurs de pierre sont arrêtés pour le délit de coalition.
« Les ouvriers tailleurs de pierre ont fait, il y a près d’un mois, des conventions avec les maîtres tailleurs de pierre : un tarif a été librement arrêté entre eux tous. Quelque temps après un sieur Rivière, signataire des conventions, n’a plus voulu s’y soumettre ; ses ouvriers ont quitté son chantier et ont cherché ailleurs un travail mieux rétribué. Rivière a porté plainte, et les sieurs Châtelet, Morateur et Breysse ont été arrêtés comme coupables de coalition et coupables en outre d’avoir fait cesser le travail dans le chantier de Rivière. Ces trois pères de famille ont paru devant le tribunal correctionnel après huit jours de détention. Le tribunal les a acquittés et n’a pas même cru devoir entendre leur défenseur, Me Chanay. Ils pensaient être mis en liberté, mais le procureur du roi a interjeté appel, et des hommes qui sont nécessaires à leur famille, sont ainsi détenus préventivement parce que tel est le bon plaisir de M. Chegaray. Il a, nous le savons, usé de son droit, mais le vice de nos lois ne devrait-il pas être amendé par la sagesse de nos magistrats. Quel danger y a-t-il pour la société dans la mise en liberté d’hommes qui, s’ils étaient coupables, n’auraient à craindre qu’une condamnation à quelques jours de prison. Pourquoi cette punition préventive, sans utilité pour la société, sans compensation pour les malheureux qui y sont soumis. »
Le journal des canuts rappelle qu’en octobre 1831, pour le même délit, les ouvriers en soie n’avaient pas été poursuivis et encore moins soumis à une arrestation préventive :
« Allons plus loin : les ouvriers tailleurs de pierre ne sont ni plus ni moins coupables que les ouvriers en soie, que les ouvriers tullistes. Les circonstances sont identiques. D’où vient qu’on emploie une manière de procéder différente ? Les ouvriers en soie, les ouvriers tullistes n’ont pas été soumis à une arrestation préventive ; les premiers n’ont pas même été poursuivis. La justice cependant ne doit pas avoir deux poids et deux mesures. Voudrait-on laisser croire que les ouvriers en soie n’ont dû leur liberté qu’à la crainte que leur nombre inspirait, et non à la justice de leur cause, à la sympathie du pouvoir pour la classe prolétaire ? De deux choses l’une, ou M. Varenard ne fit pas son devoir en octobre 1831, ou M. Chegaray fait plus que le sien en mars 1833. »
Puis l’Echo de Fabrique précise son rôle :
« Les ouvriers tailleurs de pierre trouveront dans l’Echo de la Fabrique un appui naturel à leur cause ; car nous nous empressons de leur l’offrir ; car nous ne voulons pas qu’on oublie que l’Echo de la Fabrique, quoique journal d’une industrie spéciale, est aussi celui de la classe laborieuse tout entière ; il est la tribune du prolétariat. Toutes les industries sont solidaires pour la répression des abus, des privilèges, pour l’adoption de ce principe sacré qui fait la base du droit des hommes salariés VIVRE EN TRAVAILLANT. »
Enfin les tailleurs de pierre vont écrire au journal ce texte fondamental. L’Echo l’accompagne d’une présentation intéressante sur l’esprit qui anime les journalistes
« Nous publions sans commentaire l’adresse suivante des ouvriers tailleurs de pierre aux ouvriers en soie, car nos paroles seraient trop au-dessous des sentiments que sa lecture fait naître.
Nous remercions, en ce qui nous concerne, les ouvriers tailleurs de pierre du souvenir honorable qu’ils veulent bien nous accorder. Il nous est doux de recevoir au milieu du combat et avant la victoire, le salaire de nos faibles mais consciencieux travaux.
Nous avons encore beaucoup à faire pour être dignes de cette récompense ; nous le ferons. Nous puiserons de nouvelles forces dans ce témoignage de la sympathie de nos concitoyens. Forts de cet appui que nous trouvons dans l’opinion publique, nous continuerons, sans craindre les entraves que les ennemis de la cause sacrée à laquelle nous avons voué notre existence, pourraient nous susciter, nous continuerons à marcher d’un pas ferme vers le but que nous nous sommes proposé : L’EMANCIPATION PHYSIQUE ET MORALE DE LA CLASSE PROLETAIRE. Dieu et la liberté nous soient en aide. God and liberty (Voltaire à Franklin).
Aux ouvriers en soie.
Nous nous empressons de vous manifester notre reconnaissance pour la généreuse sympathie que vous avez témoignée pour nos frères détenus : le journal qui s’est spécialement consacré à la défense de vos intérêts, s’est hâté de nous offrir son appui ; nous sommes heureux et fiers de cette bienveillance. Le temps n’est plus où nos industries se poursuivaient d’injures et de violences mutuelles ; nous avons enfin reconnu que nos intérêts sont les mêmes, que loin de nous haïr, nous devons nous aider, et qu’un esprit de confraternité doit nous unir tous. De tant de faisceaux séparés ne formons qu’un seul faisceau : les travailleurs ne peuvent améliorer leur sort que par une association toute fraternelle ; puisse votre exemple amener enfin l’oubli de toute funeste rivalité ; puissent toutes les professions se donner la main ! A vous appartiendra l’honneur d’un aussi noble résultat.
Recevez en particulier, M. le rédacteur, l’expression de notre gratitude pour vos généreux et constants efforts en faveur de la cause sainte de l’émancipation des prolétaires.
Pour nos frères, les tailleurs de pierre :
Signés : Savigny, Doyen, Tissier cadet, Tissier aîné, Baron, Berger, Taboulat, Louis Aimard, Gentil, Respaux, Boiron, Cousin, Pain, Mouchard, Bourgeois, Bidault, Berset, Vallèle, Perrin, Sourd père, Sourd fils, Trouvet, Michelon, Guillermin, Pilloud, Escudié, Goujon, Hourlat, Goubre, Perruquet, Imbert, Aspet, Guillaume, Aubriaque, Uze, Carret, Peterre, Drevet, Perrin cadet, Deschamp, Lefroid, Chabout, Venture, Chatte, Faure, Chapotton, Constant, Constantin, Bellevêque, Durand, Barthès, Lizet fils, Marchand, Michelon, Berguirailles, etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc. »
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