La Crèche Saint-Bernard
La démolition des remparts en 1865 va permettre la construction d’une nouvelle mairie et l’installation de la crèche Saint-Bernard à la place du bastion n°7, le bastion d’Orléans.
L’histoire de la crèche St Bernard est intéressante dans la mesure où elle nous apprend beaucoup sur les conditions de vie des canuts et sur l’état d’esprit de la bourgeoisie catholique de cette époque. On ne saurait détacher l’histoire de la crèche avec la tradition « d’une ville de charité par excellence » pour reprendre les écrits du médecin Gérard en 1878, l’un des fondateur de la crèche. Nous sommes dans les années 1840 et le nombre d’indigents est très important. Les œuvres de toutes sortes sont présentes. Pourtant note le docteur Gérard, « une espèce de misère intéressante avait jusqu’à nos jours échappé à tant de sollicitude : la misère des enfants nouveaux nés. » Pour une fois, c’est à Paris qu’il va y avoir une première réalisation. Marbeau crée l’institution des Crèches en 1844. Deux ans plus tard Lyon crée la Crèche de Saint-Paul et la confie aux sœurs de Saint-Vincent de Paul. En 1850 une deuxième crèche est créée, sur la paroisse de Saint-Polycarpe. C’est celle qui nous intéresse. Elle va être gérée par les sœurs de Saint-Joseph, installée dans un premier temps rue de la Vieille Monnaie (la rue René Leynaud) puis transférée en 1854 dans la paroisse Saint-Bernard, rue Sainte Blandine, au 8. C’est aujourd’hui la rue Diderot.
Comment est cette crèche ?
Elle se compose d’une grande pièce destinée à un atelier de canut et d’une petite pièce, une alcôve typique du logement atelier. Evidemment il y a une soupente où couche le personnel de la crèche, 3 sœurs et trois servantes. Elle est au rez-de-chaussée d’une maison de 5 étages : pas de soleil et un air imprégné de miasmes délétères. En plus il fallait pour y arriver traverser une allée longue, humide et noire. Malgré la propreté rigoureuse à l’intérieur, cette crèche est le foyer continu d’ophtalmies purulentes, de fièvres contagieuses de l’enfance. Le personnel contractait, chlorose, anémie et même la phtisie galopante. Il y a 30 berceaux et en moyenne 20 poupons à soigner. On comprend que les sœurs aient qu’une hâte, trouver un autre endroit. Elles vont préparer un projet qui précise le programme idéal d’une crèche : « Elle devrait se diviser en deux parties distinctes : un bâtiment spécial baigné dans un air sec et pur, reposant de tous côtés sur une large terrasse voûtée, environné de verdure à l’extérieur, l’intérieur très propre, doté d’un système de chauffage à température toujours égale et d’un système de ventilation capable de renouveler l’air en emportant les miasmes qu’exhale toute l’agglomération vivante, muni enfin de tout ce qui peut être utile aux enfants des deux sexes, enfants que l’on réuniraient, sans distinction de culte, dès leur naissance, jusqu’à leur troisième année inclusivement et de quelques paroisse qu’ils vinssent. ». En attendant que la crèche devienne idéale, il faut continuer à accueillir les bébés, il y a d’ailleurs de fortes demandes, bref ça manque de place. Nous sommes en 1860.
Quelles activités à la crèche ?
Les femmes de service « scrupuleusement choisies, convenablement rétribuées et soutenues par le foi et le dévouement prodiguent aux enfants tous les soins que leurs propres mères ne pourraient leur donner chez elles qu’au détriment d’un travail indispensable aux besoins impérieux du ménage. Les enfants à la mamelle y sont allaités deux fois par jour par leurs mères qui viennent à la crèche remplir ce pieux devoir. Le reste du temps les sœurs et les femmes de service leur donnent le complément d’alimentation approprié à leur âge, veillent à la propreté de leur berceau, à la paix de leur sommeil, apaisent leur cris par des chants et des caresse : font en un mot, ce que ne peuvent faire les mères absentes. Elles deviennent le supplément de la maternité. » Les enfants sevrés trouvent eux une nourriture abondante et variée. « Panades, pâtes, potages gras et maigres, café de glands, lait pur ou coupé, vin trempé d’eau, tisane édulcorées avec sucre ou réglisse, houblon, huile de foie de morue, sirop ferrugineux etc.. Et surtout cette gymnastique de la première enfance, indispensable à son développement, sans laquelle apparaîtraient les symptômes de rachitisme et que cependant, les mères, occupées en même temps et des soins du ménage et de travaux manuels continus, sont le plus ordinairement dans l’impossibilité d’apprendre à leurs chers nourrissons… » Il faut également savoir qu’à cette époque comme aujourd’hui la crèche n’est pas une infirmerie, chaque enfant, avant d’y être admis, doit être reconnus bien portant et exempt de toute affection contagieuse.
On cherche toujours un autre emplacement pour la crèche
Nous sommes maintenant en 1864. Des projets de terrains il y en a eu. Le clos Willermoz, entre la montée de la Grande Côte et de la montée Saint-Sébastien, au sommet, dans la rue des Petits Pères (la rue des Tables Claudiennes) du côté de la rue des Fantasques. C’est en définitive le terrain entre la rue Audran et Mottet de Gérando, le terrain entre la grande porte de la Croix-Rousse et la petite porte du fort Saint-Laurent qui va être acheté. Parallèlement à ces recherches, on s’est employé à trouver de l’argent. Le 6 juillet 1864 le sénateur Vaïsse accueille avec empressement l’offre du comité et promet un concours efficace. Il écrit à l’architecte de la ville de Lyon : « des personnes bienfaisantes viennent d’offrir à la ville un terrain situé au-dessus de la place des Brosses (une partie de la place Bellevue), à la charge par la ville d’y faire construire une crèche et une salle d’asile. » La ville pourvoira par des subventions si la somme qu’elles ont récoltée n’est pas suffisante. Enfin une crèche digne de ce nom ? Seulement voilà : nous sommes le 6 juillet et le 29 août Jean-Claude Marius Magdeleine Vaïsse, ce Marseillais qui donné à Lyon la rue de la République, le Palais de la Bourse, le Parc de la Tête d’Or, l’endiguement et les quais du Rhône, défunte à l’âge de 65 ans. Apparemment il n’y a eu aucune délibération officielle en juillet. Il faut recommencer à zéro. On agite ses fumerons dans le comité. On parle d’insalubrité dans la crèche, on va voir le préfet Chevreau, sa femme aussi, on rappelle que Vaïsse avait accepté le projet. Rien n’y fait. Mieux début octobre 1865 la pauvre sœur Alexandre, infatigable religieuse qui porte ce projet depuis le début, s’entend dire dans le bureau de M. Grivet, ingénieur en second de la ville : « C’est pas tous ça ma sœur. Vous savez que l’empereur veut détruire les remparts et mettre à la disposition des Lyonnais une belle promenade à la place. J’ai étudié le dossier. Le terrain que vous avez acheté il pique-plante sur le trajet. Va falloir céder tout le terrain pour le boulevard ! » (Traduction libre) Catastrophe ! Oui mais. Ils sont tenaces les gones. Ils s’accrochent, discutent. On va trouver une solution. Même Chevreau y met du sien. Il se déplace sur le terrain. On va réserver pour la crèche asile, sur l’emplacement du bastion n°7 un terrain complètement isolé de 1600 m², soit 20 m² de moins que la surface acquise précédemment. 1867, la ville va construire à ses frais la crèche. Les canuts vont même apporter à la Préfecture une pétition pour hâter l’exécution de ce projet. Le 29 août 1869, la crèche asile est terminée. Impératrice Eugénie qui était de passage à Lyon vient l’inauguré et va même jusqu’à déposer un baiser sur le front de sœur Alexandre.
Il y aura encore une alerte pour cette crèche. C’est en 1870. L’empereur est déchu le 4 septembre. Il y a quelques troubles sur la Croix-Rousse. Le docteur Gérard écrit : « Sœur Alexandre apprend qu’on lui dispute la possession de son œuvre. Elle accourt aussitôt, au milieu d’une foule hostile à cet habit, et supplie le dictateur du jour, M. Gambetta, d’épargner son Œuvre à peine achevé et destinée à faire tant de bien à la première enfance. » Elle sera entendue.La crèche Saint-Bernard va être très performante. De 1872 à 1877 pour un total de 1398 enfants inscrit, 35 par jour en moyenne, il y a eu 51 décès soit 3, 65 %. Dans les crèches les mieux établies le pourcentage est de 9 pour cent. Il faut savoir que le pourcentage des enfants en nourrice à l’extérieur est effrayant : Sur cent, cinq sont rendus en excellentes conditions… c’est du moins le chiffre qu’avance le docteur Gérard.
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