Le samedi 5 avril : Journée du procès
Extraits des écrits de J-B Monfalcon :
« Le procès des six mutuellistes doit avoir lieu au tribunal de Police Correctionnelle. M. Pic président du tribunal, les juges et le parquet désirent que le jugement des mutuellistes ne soit environné d’aucun appareil militaire. Les débats de l’affaire commencent. Une multitude immense remplit l’étroite enceinte du tribunal. Cette foule n’est point positivement malveillante, mais on y remarque une vive agitation. Après un long interrogatoire des prévenus et l’audition des témoins, le tribunal fatigué par le bruit, déclare, par l’organe de M. Pic, son président, que si le silence ne s’établit point il fera évacuer la salle et jugera à huis clos. La cause est renvoyée au mercredi suivant. Cette décision est mal comprise par l’auditoire qui croit y voir l’intention d’éviter la publicité des débats. Des murmures bruyants l’accueillent : « Le jugement de suite ! Point de huis clos ! La liberté de nos frères ! » La séance est levée. »
Les incidents continuent. Un témoin à charge est pris à partie. Le président du tribunal réclame un détachement militaire. Une soixantaine d’hommes. Le désordre est à son comble et quelques soldats sont désarmés. « Quelques soldats boivent avec des mutuellistes dans la cour du palais et sur la place Saint-Jean » (JB Monfalcon.) Un brigadier de gendarmerie est reconnu comme étant un de ceux qui s’est illustré lors des événements de 1831 du côté des forces de l’ordre. « On lui arrache sa croix d’honneur dont un groupe se fait un trophée et qu’il court jeter dans la Saône avec une sorte de solennité. »(J-B Monfalcon). Les juges, le procureur du roi, le commissaire central Prat et le commissaire de police Arnault s’enfuient par une porte dérobée.
Le dimanche 6 avril :
L’enterrement d’un chef d’atelier mutuelliste est l’occasion d’un déploiement de forces et d’une menace indirecte adressée au pouvoir. Huit mille ouvriers ferrandiniers ou mutuellistes* composent le cortège funèbre ; on remarque parmi eux un certain nombre de membres de la Société des Droits de l’Homme. A huit heure du soir, après l’enterrement, quelques ouvriers en bande parcourent les rues de Lyon en chantant la Marseillaise et le Chant du Départ. On entend « Vive la République ! A bas les tyrans ! A bas le juste-milieu ! »
· « Quatre hommes marchaient de front et beaucoup de files en comptaient cinq : le cortège allant au pas accéléré mit vingt-sept minutes à passer et soixante et dix rangs défilaient par minutes ; ainsi mon calcul approximatif est exact. » (J-B Monfalcon).
Lundi 7 et mardi 8 avril :
Un grand nombre de fabricants commencent à emballer leurs marchandises et leurs effets les plus précieux. Plusieurs ont quitté la ville.
Mercredi 9 avril :
A sept heures du matin toutes les troupes sont en place. Au total 10 500 hommes. Si l’on déduit les malades, les conscrits qui ne sont pas armés et les soldats commis pour garder les forts, l’effectif de la garnison est de 6 500 hommes. 4 grands commandements : le général Fleury à la Croix-Rousse ; le lieutenant-colonel Diettmann à l’Hôtel de Ville ; le lieutenant général Aymard à Bellecour ; le général Buchet à l’Archevêché.
Disposition de la troupe :
Place Saint-Jean ; dans la cour de l’Archevêché ; à la tête du pont Tilsitt ; sur la rive gauche de la Saône, adossée à l’hôtel du Palais Royal et près des Célestins ; place Bellecour ; à l’Arsenal ; sur la place Louis XVIII (place Carnot) ; à la Guillotière ; sur la place Louis XVI (place Maréchal Lyautey) ; à l’Hôtel de Ville. Les ponts sont occupés, des pièces de canon placées sur différents points. Un fort détachement garde l’intérieur du tribunal.
A huit heures Adrien de Gasparin, le préfet, apprend que les chefs de la Société des Droits de l’Homme se sont réunis dans une maison de la rue Bourgchanin (rue Bellecordière) et que des proclamations ont été imprimées. Les autorités n’interviennent pas.
A neuf heures et demie la foule garnit la place Saint-Jean et les cours de l’hôtel de Chevrière. Les autorités sont à l’Archevêché. Les chefs principaux des diverses associations paraissent sur la place Saint-Jean. Ils ne seront pas arrêtés : « Ils n’ont commis aucun désordre et avant tout, l’autorité doit éviter jusqu’à l’apparence de l’agression ; elle se laissera attaquer » (J-B Monfalcon).
A dix heures et demie, tout à coup la place St Jean se vide. Les barricades sont commencées aux débouchés des rues qui s’ouvrent sur la place. Pendant ce temps le procès des Mutuellistes commence. Au bruit de la première détonation l’avocat des prévenus Jules Favre* s’arrête. Toutes les personnes présentes au tribunal, descendent dans la cour de l’hôtel de Chevrière et cherchent à regagner leur domicile.
« Un agent de police, Faivre, est mortellement blessé par un soldat au moment où il s’élançait sur une barricade. »(J-B Monfalcon). (S’agit-il de l’épisode évoquée par Sébastien Commissaire : « Le premier individu qui a provoqué la troupe en tirant un coup de pistolet sur elle fut tué par les soldats qui ont riposté aussitôt. Dans les poches de cet homme on trouva une carte d’agent secret : ce misérable avait été tué en remplissant son rôle d’agent provocateur ». Un agent tué par un soldat.)
A midi l’insurrection est générale, partout on achève ou l’on commence des barricades. Les combats sont particulièrement violents dans le secteur de la place des Jacobins. Le faubourg de Vaise est tranquille. La Guillotière est surveillée.
A la Croix-Rousse : « Au bruit des premières fusillades, des barricades sont élevées dans la Grande Rue de la Croix-Rousse. Le générale Fleury les fait attaquer par quelques compagnies du 27e du colonel Perron. Elles obtiennent d’abord quelque succès mais assaillies par une multitude d’adversaires qu’elles ne sauraient atteindre, elles se retirent derrière le mur d’enceinte. Une attaque a été faite en arrière du faubourg, par la montée de la Boucle, sans l’ordre du général, qui envoie sur ce point pour la soutenir, le chef de bataillon Delattre et la deuxième compagnie du 27e ; elle ne réussit point. Le général fait fermer la grille de communication de la place des Bernardines au plateau de la Croix-Rousse ; une pièce de canon est placée au –dessus du corps de garde, en face de la rue principale du faubourg que ses boulets sillonnent d’un bout à l’autre ; vingt fois abattue par son feu, la barricade sera relevée sans cesse. Bien en sûreté dans sa caserne crénelée et, maître des Chartreux, le général neutralisera complètement la Croix-Rousse pendant le durée entière de la lutte. (J-B Monfalcon)
Fin de la 1ère journée : La garnison est en possession du quartier Saint-Jean, des places Bellecour, Préfecture et Terreaux, des deux rives de la Saône, des ponts, des portes, de toutes les positions militaires.
*Jules Favre : Cet avocat Lyonnais n’a que 25 ans à ce moment là. Il deviendra le chef de l’opposition républicaine sous le Second Empire et sera sous le gouvernement de Défense Nationale en 1870, ministre des Affaires Etrangères. Il signera avec Bismarck le traité de Francfort en 1871.
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